FORMATION DES FORMATEURS
Père Ivo COELHO
Conseiller Général pour la Formation
1. Préparer des formateurs et non seulement des professeurs - 2. Le modèle de formation - 3. Considérations concrètes sur la formation des formateurs - NOTE
« La formation, dit saint Jean Paul II dans Vita Consecrata, est la participation à laction du Père qui, par lEsprit, développe dans le cœur des jeunes, garçons et filles, les sentiments du Fils. » (VC 66) Alors que le Père est « le formateur par excellence », et que la responsabilité première de la réponse appartient totalement à celui qui est appelé, il a plu au Père, dans le travail de la formation, de se servir d’instruments humains et « place aux côtés de ceux quil appelle quelques frères et sœurs aînés. » (VC 66)
La présente lettre ne veut pas trop prêter attention à ceux qui sont en formation, mais plutôt à la personne des formateurs, à la lumière du cheminement que la Congrégation a accompli depuis le Concile Vatican II jusquà aujourdhui. Grâce à ce parcours effectué, nous sommes maintenant plus conscients que cest la mission qui donne à toute notre vie sa tonalité concrète ; que la formation est un processus qui dure toute la vie ; que la Communauté Éducative et Pastorale est le sujet de la mission, partagée avec de nombreux laïcs et membres de la Famille Salésienne, avec un rôle bien défini de la communauté religieuse salésienne en son sein. Enfin – avec la voie ouverte par les derniers Chapitres Généraux – nous sommes plus conscients que notre identité est dêtre des personnes consacrées vivant leur vocation sous les deux formes de Salésien laïc et de Salésien prêtre.
1. Préparer des formateurs et non seulement des professeurs
La reconnaissance du besoin de formation pour les formateurs est bien documentée dans le Magistère de la Congrégation, à partir de R 78 qui dit : « Les communautés de formation auront un directeur et une équipe de formateurs spécialement préparés, surtout à la direction spirituelle… » Dans le sillage de Potissimum institutioni (1990), Pastores dabo vobis (1992), Directives pour la préparation des Éducateurs de Séminaires (1993), Vita Consecrata (1996), et probablement aussi La Collaboration inter-Instituts pour la Formation (1998), la troisième édition de notre Ratio (2000) reprend le thème de la formation des formateurs et le propose de différentes manières.[1]
Comme lindiquent les Directives de 1993, le seul « bon sens ne suffit pas », mais il faut une capacité de discernement rendue efficace et affinée par une bonne connaissance des sciences humaines, pour aller au-delà des apparences et « aider l’étudiant à se connaître en profondeur, à s’accepter avec sérénité, à se corriger et à mûrir… ».[2] Nous pourrions ajouter que Pastores Dabo Vobis fait une distinction utile entre une phase initiale et une phase ultérieure dans la formation des formateurs (PDV 66), et Vita Consecrata a insisté sur l’opportunité « de créer des institutions appropriées pour la formation des formateurs », ajoutant qu’elles doivent se situer, « autant que faire se peut en des lieux où il sera possible de rester en contact avec la culture dans laquelle les formateurs exerceront ensuite leur service pastoral. » (VC 66)
Dans une lettre importante de 2009, « Formation des formateurs de la formation initiale », le P. Francesco Cereda, Conseiller pour la Formation, a parlé de la nécessité dun choix très soigné des formateurs et de leur formation ; il a défini les tâches des formateurs (aider à la transformation, accompagner, favoriser la primauté de la vie spirituelle, communiquer le charisme de Don Bosco, travailler en équipe). Et de proposer une liste dopportunités pour la formation des formateurs au niveau personnel, local, provincial, régional et mondial.[3] Les mêmes orientations ont été réitérées à l’occasion de lévaluation de la consistance quantitative et qualitative des communautés de formation et par Évaluation et orientations concernant la formation intellectuelle dans la formation initiale.[4]
« On constate qu’aujourd’hui, dans la Congrégation, la majeure partie des formateurs n’a reçu, et actuellement ne reçoit, aucune préparation spécifique pour la formation (ou peut-être une bien maigre). Souvent les Provinces préparent les formateurs, en leur faisant obtenir un titre académique dans un domaine particulier d’études ; cette qualification est nécessaire pour la culture du formateur et pour son habilitation pour l’enseignement, mais elle n’est pas suffisante pour sa tâche de formateur. »[5] Dix ans plus tard, la situation ne semble guère avoir évolué. Dans « Vocation et Formation », le Père Pascual Chávez parle de la nécessité « de préparer des formateurs et non seulement des professeurs ».[6] On pourrait dire que la préparation des formateurs n’est pas encore une pratique systématique dans la Congrégation.
Cest lobjectif que nous avons devant nous qui nous fait choisir le chemin à suivre. La formation des formateurs dépend beaucoup de lobjectif, cest-à-dire du type de formation que nous désirons et pour lequel nous souhaitons avoir des guides bien préparés.
Or, le but de la formation à la vie consacrée proposé dans Vita Consecrata nest ni une simple conformité extérieure, ni un ensemble dattitudes et de capacités à sapproprier, mais plutôt le but élevé d’avoir en soi « les dispositions (phronein) qui sont dans le Christ Jésus ». (Ph 2,5). Cest une configuration au Christ, se revêtir du Christ (Rm 13,14), laissant le Christ se former en nous (Ga 4,19), partageant le don total du Fils au Père et à ses frères et sœurs, devenant son mémorial vivant jusquà partager aussi ses choix de vie concrets (VC 66, 22).
L’objectif de la formation salésienne, pourrions-nous ajouter, est la configuration au Christ Bon Pasteur sur les traces de Don Bosco.
Un authentique objectif éducatif doit pouvoir se transformer en méthode. Quelles sont les conséquences opérationnelles de lobjectif davoir en soi « les dispositions qui sont dans le Christ Jésus » ?
Il faut répéter avec insistance que la formation est avant tout lœuvre de Dieu. Cest le Père qui appelle et qui, par lEsprit, façonne les sentiments du Fils dans le cœur des jeunes. Mais Dieu respecte notre liberté, et donc la formation, loin dêtre une entreprise «à sens unique», exige notre réponse à lappel de Dieu. Inhérente à la formation, il y a une dynamique dappel et de réponse, un dialogue entre deux libertés et deux amours. La formation est une œuvre divine à laquelle nous sommes appelés à collaborer. Cest ainsi que nos Constitutions voient la formation : comme une réponse à la vocation. (C 96)
Cest précisément dans cette dynamique dappel et de réponse que les formateurs trouvent leur place.
Un premier point qui sensuit est que la formation implique une dynamique de liberté. « Si lon doit former le "cœur", au sens biblique et plein du terme, pour que le jeune ait en lui les mêmes dispositions que le Fils et découvre la beauté de la "sequela" [la vie à la suite du Christ], alors le processus éducatif devient formation à la liberté (VC 66). »[7] La grâce affecte notre liberté mais ne lenlève jamais – pas même la grâce la plus puissante – parce que la grâce est amour, et la liberté est un élément constitutif de l’amour : sans liberté, il ny a pas damour ni aucune possibilité de réponse aimante.
En effet, si la finalité de la formation nétait que la qualification pour un certain type dapostolat ou un certain style de vie ou ne visait simplement que la possession de certaines qualités fonctionnelles éminentes pour le ministère, alors la méthodologie pédagogique pourrait suivre une autre voie et un autre critère (par exemple le renforcement de la volonté, la capacité dascèse et de renoncement, lhabilitation apostolique, etc.). Mais si lon doit former le «cœur» pour que le jeune ait en lui les mêmes dispositions/sentiments que le Fils, alors il ne peut y avoir dautre voie à suivre que celle de la liberté. Le cœur de lhomme peut et doit être éduqué et évangélisé, purifié et libéré, avec toute la souffrance que cela comporte, au point déprouver de plus en plus naturellement, grâce à une sage discipline, presque dune manière innée, ces dispositions/sentiments. Il ny a pas de processus éducatif authentique, pour se consacrer au service du Royaume, qui ne passe par les phases, négative et positive, ascétique et mystique, dune formation à la liberté. Il s’agit concrètement de formation à la liberté comme conscience de ses propres conditionnements internes, même inconscients, et par la capacité den être de moins en moins dépendant (liberté "par rapport à ce qui est"). C’est la liberté conçue comme don reçu de Dieu en Christ et continuellement revitalisé par le don des sacrements et de la nouvelle vie en Christ (liberté "en") et liberté comme richesse de vie intérieure et damour pour Dieu, comme qualité consécutive de désirs et de force pour les mettre en pratique (liberté "pour").[8]
Un climat de liberté authentique aide le jeune Salésien en formation à surmonter ses résistances intérieures et ses peurs, le rend progressivement conscient de ses motivations profondes – jamais univoques – lui permettant de reconnaître et dexprimer ce qui motive vraiment ses choix, soit à lui-même soit à celui qui laccompagne dans son cheminement. De cette manière, aux étapes extérieures dadhésion à la vie salésienne qui marquent le chemin de la formation initiale – première profession et renouvellement des vœux – correspondra une adhésion intérieure toujours plus vraie et plus sincère.
Léducation à la liberté devrait donc être la méthode de la formation à la consécration. En effet, si lon peut définir le Système Préventif comme une pédagogie de la liberté, on pourrait dire que le Système Préventif est, en effet, la méthode de la formation.[9] Dans ce contexte, nous pouvons rappeler la conversation désormais célèbre du Pape François avec les Supérieurs Généraux en 2013 :
« On ne résout pas les problèmes simplement en interdisant de faire ceci ou cela. Il faut tant de dialogue, de confrontation. Pour éviter les problèmes, dans quelques maisons de formation, les jeunes serrent les dents, ils cherchent à ne pas commettre de fautes évidentes, d’être en règle, en faisant beaucoup de sourires, dans l’attente qu’un jour, on leur dise : “C’est bien, tu as fini ta formation.” Ça, c’est une hypocrisie qui est un fruit du cléricalisme, l’un des maux les plus terribles… On peut la résumer par ce conseil qu’on m’a donné une fois dans ma jeunesse : “Si tu veux continuer, pense clairement et parle obscurément.” C’était une claire invitation à l’hypocrisie. Il faut à tout prix éviter cela. »[10]
Deuxièmement, la formation implique une dynamique dattention à lexpérience. Selon nos Constitutions, la formation est une question d’expérience : le Salésien en formation « fait l’expérience des valeurs de la vocation salésienne » (C 98).
Si Dieu façonne en nous les dispositions/sentiments du Fils, plus nous sommes attentifs à son travail, mieux nous pouvons y correspondre et collaborer avec Lui. Un bon formateur sait comment diriger lattention du jeune en formation vers laction de Dieu dans sa vie, en le rendant apte à cette ouverture permanente au discernement (docibilitas) qui permet de découvrir dans tout ce que lon vit une opportunité de croissance et de formation. Comme il a déjà été proposé une ample réflexion, dans les Actes (ACG 425), sur la formation qui est permanente, on ne s’étendra pas davantage ici sur ce thème.[11]
Troisièmement, il y a la dynamique de la beauté, la via pulchritudinis [la voie de la beauté] (EG 15, 167). Situer la formation au sein de la Trinité fait que la vie consacrée participe à la beauté de Dieu lui-même. Dans lExhortation Apostolique de 1996, la beauté devient une clé de lecture de la vie consacrée. La pastorale des vocations et la formation doivent être capables de communiquer la beauté de la sequela Christi (VC 64, 66). Le jeune doit être formé à voir et à apprécier le beau (et pas seulement ce qui est saint et juste) – la beauté, la fascination et la splendeur du Seigneur qui appelle et de la vie à laquelle nous sommes appelés. Cest la beauté de son mode de vie qui rend rayonnante la présence du formateur. Il y a ici toute la dynamique de lexemple, du témoignage. Comme la appris le jeune Don Bosco à lécole de Don Cafasso, seul le feu allume un autre feu.[12] Une beauté, en somme, qui attire et communique la joie de l’Évangile : le magistère du Pape François évolue constamment sur ces idées et il est intéressant de constater que lorsqu’il parle de la vie religieuse, la référence à la joie devient chez lui plus directe et insistante. Si cest vrai pour tout le monde, cest encore plus vrai pour un formateur.
Ainsi le but de la formation salésienne – la configuration au Christ Bon Pasteur – se transforme en une méthode, une méthode qui implique une dynamique de liberté, dapprentissage par lexpérience, une dynamique de la beauté. Cet objectif et cette méthode devront guider la préparation des formateurs.
Deux autres points. Nous devons éviter la thèse – si naturelle pour la modernité centrée sur la culture de lindividu atomique – selon laquelle la formation est un processus du tête-à-tête seulement. Le sujet de la formation est la communauté : cest vraiment ce qui doit être. Nous croyons en un Dieu Communion, et la formation est un processus profondément trinitaire, dans lequel nous sommes appelés à collaborer. Il est très significatif que tous les documents récents du Magistère insistent sur lunité de léquipe de formation ;[13] et cest dans cette optique que lon peut comprendre linsistance du Père Cereda sur le fait que le rôle crucial de la direction spirituelle personnelle ne devrait en aucune manière minimiser la nécessité dune équipe de formateurs.[14] Cest dans le contexte de la communauté et dune équipe de formateurs solidaire que se situe le moment indispensable de lentretien avec le Directeur et de laccompagnement spirituel personnel. Dans le contexte de la formation au sacerdoce, en effet, la nouvelle Ratio Fundamentalis Institutionis Sacerdotalis insiste sur le fait que la formation « a, dès l’origine, un caractère éminemment communautaire. »[15]
Pour nous, Salésiens consacrés, la communauté est un élément essentiel de notre identité (C 3). Si la mission salésienne est confiée à la communauté et non à des individus (C 44), cela sapplique encore plus à la très délicate mission de former de jeunes Salésiens. Sans un environnement de formation sain, la contribution, même très valable, de formateurs individuels finit par devenir inutile. Il faut donc accorder beaucoup dattention et de soin à la constitution des équipes de formation à tous les niveaux : mondial, provincial et local.
Et ici, nous devons également insister sur le fait que la communauté se développe en cercles concentriques. La communauté religieuse salésienne est le noyau animateur de la Communauté Éducative et Pastorale, et de tous ceux qui partagent la mission de Don Bosco – membres de la Famille Salésienne et laïcs qui poursuivent avec nous la même mission. Cette manière de comprendre et les pratiques qui en découlent ne sont pas encore pleinement partagées dans la vie de la Congrégation : il y a des différences considérables dapproche et dintensité. Il devient donc encore plus urgent de trouver des moyens efficaces pour intégrer cette manière d« être communauté » dans les itinéraires de formation, en simpliquant dans de bonnes pratiques et en se forgeant des convictions, réfléchissant sur des expériences éducatives et pastorales menées avec ceux qui partagent la même mission, et planifiant des parcours communs de formation.
Nous pourrions aussi insister sur la spécificité apportée par la vie consacrée à notre vocation. Pendant trop longtemps, nous nous sommes contentés de penser que la formation à la prêtrise et à la vie religieuse étaient « assez semblables ». Le sacerdoce diocésain et le sacerdoce religieux sont deux états de vie différents au sein de lÉglise. « À la différence du ministère ordonné qui a une consistance institutionnelle en soi, au-delà de la personne du prêtre, et grâce à laquelle demeure valide même le ministère dun prêtre indigne, la vie consacrée consiste entièrement dans la qualité de la réponse aimante de ceux qui la vivent. »[16] Cette diversité a des répercussions décisives sur la manière dont litinéraire de conformation au Christ et le progrès dans la sainteté se configurent dans leurs vocations respectives. La négligence de ce qui est typique de notre identité première en tant que religieux conduit à un type général de formation et par conséquent aussi de manière de vivre la vie consacrée, une situation qui nest malheureusement pas rare, loin de là. Lune des tâches les plus urgentes que nous ayons devant nous est de trouver des moyens efficaces pour être des guides dans la formation de religieux salésiens qui sont aussi prêtres.
3. Considérations concrètes sur la formation des formateurs
a) Tout dabord, nous devons reconnaître, au plan de la formation initiale, une grande diversité dans les Régions de la Congrégation. Nous avons de nombreuses maisons de formation « classiques » dans leur typologie ; mais il y a aussi un nombre croissant de petites maisons où différentes étapes de formation initiale sont souvent réunies dans une même communauté. Avec la diminution du nombre et des ressources, il y a des régions qui, en ce moment, réalisent avec sérieux, et non sans difficultés, la réorganisation de leurs maisons de formation. Dans ce contexte, on constate bien souvent la peur, de la part des Provinces, de « se retrouver sans aucune maison de formation ». En soi, ce nest pas vrai car presque chaque Province possède son prénoviciat ; et puis, dans toutes les Provinces, il y a toujours létape du stage qui est très importante dans la période de formation, et ne peut être ni oubliée ni négligée. De plus, puisque la formation dure toute la vie, chaque Directeur de communauté est formateur et gardien du charisme. Par conséquent, aucune Province ne peut se dispenser du devoir de préparer des formateurs. Cest dans cette optique que nous avons récemment demandé à toutes les Provinces davoir un plan de qualification pour préparer des confrères dans les domaines les plus pertinents pour notre croissance charismatique et pour le rôle de formateurs.
b) Un intense travail de sensibilisation est nécessaire concernant la formation des formateurs. Ce type de formation doit devenir avant tout mentalité, culture, pour être ensuite systématique et efficace. Il est certain que les Provinciaux et les Délégués à la Formation ont un rôle fondamental à jouer dans ce domaine. Mais la conviction chez ceux qui sont directement impliqués dans laccompagnement de formateurs nest pas moins importante et, comme nous lavons déjà dit, nous ne devons pas oublier les Directeurs des communautés où il y a des confrères stagiaires et, en définitive, tous les Directeurs des communautés locales.
c) Des éléments fondamentaux. Si les formateurs doivent aider les confrères en formation à faire leurs les dispositions/sentiments mêmes du Christ, ils sont eux-mêmes appelés en premier lieu à devenir de vraies images, des icônes vivantes du Christ. Et si notre vocation spécifique dans lÉglise est de suivre le Christ comme Salésiens consacrés, prêtres et coadjuteurs, les formateurs devront dabord prendre soin de leur croissance personnelle dans le Christ, dans lesprit de Don Bosco, en tant que personnes consacrées.
Dans cette formation de formateurs, nous pouvons distinguer trois composantes : les contenus, les capacités et la personne même du formateur.
En ce qui concerne les contenus, nous pouvons supposer que la majeure partie des formateurs ont eu une solide formation philosophique et théologique. Mais on doit insister sur un bon enracinement dans le charisme salésien. LUPS offre différentes possibilités pour une solide base théorique et méthodologique, ainsi que lapprentissage de méthodes et de compétences utiles, tant à la Faculté des Sciences de lÉducation quà la Faculté de Théologie.
Pour ce qui est de lapprentissage des capacités, nous avons des cours tout à fait valables, aussi bien dans notre Université qu’ailleurs ; des cours qui aident à développer et à affiner les capacités découte, de feedback [de réagir sur ce qui est dit], daccompagnement, etc. ; ce sont de précieux outils pour lentraînement du formateur.
d) Il faut surtout prêter attention à la personne du formateur. Les Directives de 1993 exigent un temps « de formation prolongé et de reprise radicale des questions éducatives », et l’on ajoute :
Le but de ces temps de formation est de favoriser un sérieux examen de la personnalité même de l’éducateur, de son engagement ministériel, de sa façon de concevoir et de vivre sa mission éducative.
Des temps de formation de ce genre devraient comporter des cours bien choisis et spécialement programmés dans le domaine des sciences ecclésiastiques et des sciences humaines, avec des exercices pratiques sous la conduite d’un « superviseur » et soumis sous son contrôle à une relecture critique attentive. L’éducateur pourra prendre ainsi une conscience plus vive de ses propres capacités et comportements, accepter plus sereinement ses propres limites, et mettre à jour et améliorer les critères qui inspirent son action.
Dans les programmes de formation permanente de cette ampleur, on doit prévoir des périodes prolongées de renouvellement spirituel (mois ignacien, retraites spirituelles, temps de désert) pour permettre à l’éducateur de revoir sa mission dans ses connections et ses racines spirituelles et théologiques les plus profondes. [17]
Nous avons là des éléments précieux : valorisation et élaboration de son expérience personnelle, pastorale et de formation ; exercices pratiques accompagnés d’une supervision ; des périodes de renouvellement spirituel.
On pourrait insister en particulier sur le secteur de la croissance affective et psychologique. Les formateurs doivent apprendre à reconnaître et à gérer leurs propres émotions, en étant attentifs et soucieux de leurs problèmes, incohérences, comportements autodestructeurs et tendances sexuelles immatures, améliorant en même temps leurs points forts et leurs compétences.
Peu de choses sont en mesure de redonner vie comme le contact avec un formateur équilibré et libre. C’est la dynamique de la beauté qui se déploie : « L’homme contemporain écoute plus volontiers les témoins que les maîtres, ou s’il écoute les maîtres, c’est parce qu’ils sont des témoins », dit le bienheureux Paul VI (EN 41). Au contraire, un formateur don la vie n’est pas bien intégrée peut causer d’énormes dégâts aux personnes en formation. Favoritisme, possessivité, rivalité, vengeance, recherche de faveurs sexuelles peuvent laisser des blessures chez les personnes en formation, qui durent toute la vie.[18] Ce pourrait être un bon exercice pour les formateurs que de se prévenir contre les quinze maladies listées par le Pape François dans son Message de Noël 2014 à la Curie Romaine.[19] Au fur et à mesure que les formateurs deviennent des personnes saines, intégrées et libres, ils deviendront « des ponts et non des obstacles » (PDV 43) pour les personnes en formation dans leur cheminement vers Dieu.
Notre tradition a toujours insisté sur une expérience pastorale appropriée (C 104) ; c’est merveilleux, à condition que le formateur ait été aidé à apprendre de ces expériences et à les vivre en faisant « l’expérience des valeurs de la vocation salésienne » (C 98). La mission, comme disait le Père Chávez, est la « maison » [casa] et la « cause » [causa] de la formation.
« "Plongé dans le monde et les soucis de la vie pastorale, le Salésien apprend à rencontrer Dieu à travers ceux à qui il est envoyé" (C 95). La formation réside fondamentalement et principalement en cet apprentissage. Le but consiste à rencontrer Dieu dans la vie que l’on mène en vivant l’appel (…). Là où manque la conscience que l’on est en train de faire devant Dieu ce que Lui nous a confié, il ne pourra y avoir aucune formation, même si l’on étudie ou quel que soit le nombre des années que l’on passe dans ce que l’on appelle "maisons et étapes de formation". »[20]
e) Les formateurs doivent comprendre le Système Préventif comme une pédagogie de la liberté. Surtout dans les cultures où la hiérarchie et l’autorité sont importantes, les équipes des formateurs devront prendre conscience de leur modèle opérationnel de formation et adopter des mesures pour changer, de manière que la formation puisse vraiment arriver au cœur de chaque personne, en dépassant le conformisme extérieur qui se limite à en conditionner les comportements (souvent uniquement pour le temps où le contrôle extérieur demeure fort).
Dans ce contexte, la période du stage pratique [tirocinio] – qui, du point de vue salésien, est l’étape la plus caractéristique de la formation initiale (FSDB 428) – est aussi une étape extrêmement significative et importante pour la préparation spécifique de formateurs, même si cette période remonte loin. Celui qui n’aurait pas atteint d’une manière satisfaisante les objectifs typiques de cette étape, surtout pour tout ce qui concerne la connaissance et la pratique du Système Préventif (C 115), ne serait pas en mesure de devenir un bon Salésien formateur.
Un des éléments clés pour la formation des formateurs sera donc l’évaluation de sa propre expérience de stage, en revisitant l’évaluation globale de celle-ci demandée par la Ratio (« Au terme du stage s’effectuera une évaluation globale de l’expérience par le Provincial, par la communauté et par le confrère » – FSDB 444). Cela peut évidemment aider beaucoup si ce type de scrutin global a été écrit et archivé. Les Commissions régionale et provinciale de formation devront vérifier et assurer cette pratique. Cette évaluation sera le premier élément dans la sélection des formateurs.
Doit être bannie toute tentative d’accélérer le stage pratique soit parce que l’on a hâte d’être ordonné soit pour un « privilège » à accorder à un confrère particulièrement brillant du point de vue académique.
C’est pour cette même raison que les Directeurs des communautés où se trouvent des confrères stagiaires doivent être considérés comme des formateurs de première classe. Tout ce qui est dit de la formation doit être appliqué avant tout et sans réserve à eux qui doivent être des guides-formateurs bien préparés pour leur tâche. Les Provinciaux ont une responsabilité sacrée à cet égard et le devoir d’assurer que les communautés qui reçoivent des stagiaires soient des milieux formateurs équilibrés et de qualité. On doit dire la même chose d’une manière analogique pour le quinquennium, aussi bien pour les Salésiens coadjuteurs que pour les Salésiens prêtres.
f) Dans nos sociétés et nos communautés de plus en plus multiculturelles, les formateurs doivent prêter attention à leurs attitudes vis-à-vis des différences culturelles, afin de promouvoir la formation à linter-culturalité. Comme le dit À vin nouveau, outres neuves : « L’objectif de la vie consacrée ne sera pas de rester un état permanent dans les cultures différentes qu’elle rencontrera, mais d’entretenir une conversion évangélique permanente dans le cœur en vue de la construction progressive d’une réalité humaine interculturelle.» [21] Les structures interprovinciales ou internationales pour la formation de nos jeunes confrères requièrent des formateurs vraiment convaincus que
« …"le christianisme n’a pas un modèle culturel unique, mais que, tout en restant pleinement lui-même, dans l’absolue fidélité à l’annonce évangélique et à la tradition ecclésiale, il revêtira aussi le visage de tant de cultures… et d’innombrables peuples où il est accueilli et enraciné" (EG 116). Cela demande la capacité et l’humilité de ne pas imposer un système culturel, mais de féconder chaque culture par la semence de l’Évangile et de sa tradition charismatique en évitant soigneusement la "vaniteuse sacralisation de sa propre culture" (EG 116). » (À vin nouveau, outres neuves, 37)
En pratique, beaucoup dépend de la personne du formateur : quand un formateur détient une force intérieure propre, et sil sest sérieusement mis à faire attention à ses réactions face à ce qui est différent de lui-même et à prêter attention à lautre, il sera par son attitude déjà en possession dun pont ouvert vers lautre.
g) Puisque nous vivons – et en particulier nos jeunes confrères – dans une nouvelle ère médiatique où la technologie crée et transforme visiblement la culture, les formateurs doivent être capables de comprendre et dinteragir avec des gens qui sont citoyens du continent numérique.
h) L’ « ancienne préparation » de Salésiens formateurs est, en définitive, leur formation initiale dans son ensemble, particulièrement une bonne expérience de stage pratique et deux ou trois ans d’expérience pastorale, bien accompagnée, durant le quinquennium. Le minimum indispensable pour la « préparation immédiate » des formateurs salésiens devrait consister en (1) un cours bref touchant la personne du formateur ; (2) un cours bref de salésianité incluant la revisite de sa propre expérience éducative et pastorale pendant le stage pratique et le quinquennium, et une appropriation effective de la Ratio – son esprit en plus de ses différentes normes – ; et (3) un cours bref pour l’acquisition de capacités de base comme l’écoute, le feedback et l’élaboration de la manière de procéder. Pour les Directeurs, les Maîtres des novices et les Responsables de prénoviciat, on devrait ajouter (4) un cours sérieux de préparation au ministère de l’accompagnement spirituel.
Alors que la formation des formateurs ne requiert pas nécessairement une licence ou un doctorat, les licences préparées à lUPS près les Facultés des Sciences de lÉducation et de Théologie demeurent valables pour la formation des formateurs. Le cours semestriel de lUPS pour la formation permanente des formateurs reste également très apprécié par un nombre croissant de religieux et de prêtres diocésains.
i) Pour la salésianité, nous avons des cours plus brefs dans nos Centres de Formation Permanente (Quito, Parañaque-Manille, Berkeley, Bangalore) et des cours plus substantiels à la Faculté de Théologie de lUPS.
Alors que tous les formateurs doivent suivre au moins un cours bref de salésianité, nous devons insister pour que chaque Province ait un ou deux experts en salésianité avec une licence ou un doctorat de lUPS.
j) La préparation daccompagnateurs spirituels est lune des grandes tâches que la Congrégation doit affronter aujourdhui, tâche bien exprimée par lÉtrenne 2018 – « Cultivons lart découter et daccompagner » – en plein accord avec le cheminement synodal que toute l’Église est en train de faire sur le thème « Les Jeunes, la Foi et le Discernement Vocationnel ».[22] L’élément premier et indispensable est le parcours de direction spirituelle par lequel le formateur prend soin de sa propre croissance.[23] Un cours pratique sur laccompagnement spirituel améliorera ce que lon apprend dabord personnellement en se faisant accompagner par un guide spirituel. En plus des opportunités qui peuvent être utilisées dans divers contextes ecclésiaux et Centres de la Congrégation (Espagne, Quito, Bangalore) qui offrent de précieuses contributions dans ce domaine, nous avons lintention dinstituer une École dAccompagnement Salésien,[24] comme un des fruits du processus sur l’accompagnement spirituel salésien mené par nos Dicastères pour la Pastorale des Jeunes et pour la Formation.
k) Il existe également différentes initiatives pour la formation permanente des formateurs aux niveaux provincial, régional et mondial. En nenlevant rien à leur valeur et à leur utilité, ces interventions ne remplacent pas la nécessité dune formation initiale de formateurs (cf. PDV 66).
l) Jinvite les Commissions provinciales et régionales pour la Formation à nous proposer des réflexions et des suggestions sur les différents points exprimés dans ces lignes directrices. En particulier : (1) comment former des religieux salésiens qui sont aussi prêtres ; (2) comment faire en sorte que lexpérience pastorale du stage pratique et du quinquennium puisse devenir partie intégrante de la préparation des formateurs ; (3) comment faire en sorte que la mission partagée avec les laïcs et avec la Famille Salésienne – en particulier avec la Communauté Éducative et Pastorale – devienne partie intégrante de la formation initiale.
m) Enfin, nous souhaitons un changement en termes de gouvernement : aucune nomination de formateurs dans une maison de formation initiale sans une formation spécifique préalable ; une modification en ce sens des modules pour la nomination des Directeurs (spécialement dans les communautés de formation) et des Maîtres des novices (F 19 et F 20) ; l’introduction d’un nouveau module pour la nomination des responsables de prénoviciat.
Lorsque Jean Bosco, à peine ordonné prêtre, va demander conseil à Don Cafasso pour savoir laquelle choisir, pour son ministère sacerdotal, des trois options qu’on lui avait présentées (vicaire à Castelnuovo, chapelain de Murialdo, précepteur dans une famille noble de Gênes, Don Cafasso – au terme d’une série de rencontres dont il faut souligner l’attention accordée à l’expérience intérieure – suggère au nouveau prêtre, son concitoyen, de laisser tomber toutes ces possibilités et de venir au « Convitto » [Foyer sacerdotal] pour trois autres années de formation qui lui serviront de « matrice » pour tout ce que Don Bosco sera et fera, le restant de sa vie.
Investir dans la formation, pour notre Congrégation, est, du point de vue de notre charisme, la manière la plus profitable et la plus sainte de dépenser le meilleur de nos ressources disponibles. Si tel est toujours le message que nous offrons au monde et à l’Église en consacrant nos vies et nos ressources à la formation des jeunes et en impliquant tous ceux que nous pouvons dans le même dynamisme apostolique, nous aurons d’autant plus à cœur la formation de ceux qui prendront soin des nouvelles générations de Salésiens.
« Nul ne sait quel grand bien produit le bien qu’il fait » : ces paroles de notre Père prennent tout leur sens si nous les appliquons à l’accompagnement d’un aspirant, d’un novice, d’un jeune confrère. Il y a là « en devenir » un potentiel de vie sans limites, confié à qui a déjà quelques longueurs d’avance sur le chemin de la vie salésienne. Un potentiel de vie auquel nous ne pouvons que dédier le meilleur de nous-mêmes comme Confrères, Provinces et Congrégation.
[1] Cf. FSDB (online 2016), nn. 237-239, 246, 384-286, 416, 489, 547-548, 571. Il faut tout de même remarquer qu’il n’y a aucune section entièrement consacrée à la formation des formateurs.
[2] Congrégation pour l’Éducation Catholique, Directives pour la Préparation des Éducateurs de Séminaires (1993), 57 (voir Origins : CNS Documentary Service 23/32 [27 janvier 1994] 558-571, inhttp://www.usccb.org/beliefs-and-teachings/vocations/priesthood/priestly-formation/upload/preparation.pdf, version 11 février 2017. Voir FSDB (2016) 237.
[3] F. CEREDA, Formation des formateurs de la formation initiale, in ACG 404, pp.70-88 dans l’édition en langue française.
[4] Évaluation et orientations concernant la formation intellectuelle dans la formation initiale. Évaluation et orientations approuvées par le Recteur Majeur et par le Conseil Général, Rome, 25 juillet 2012.
[5] F. CEREDA, ACG 404, p. 81 dans l’édition en langue française.
[6] P. CHÁVEZ, Vocation et formation, in ACG 416 (2013), p. 10 dans l’édition en langue française.
[7] A. CENCINI, La formation aujourd’hui : Ministère et mystère, in http://www.ofmconv.org/x/CENCINI.htm#N_13_ (11 février 2017).
[8] Cf. A. CENCINI
[9] C 104 demande des formateurs « capables de communiquer… aptes au dialogue ». C 112 demande que le maître des novices « ait un sens profond des contacts humains et des capacités de dialogue ; qu’il inspire par sa bonté confiance aux novices. »
[10] « Réveillez le Monde », Rencontre du Pape François avec les Supérieurs Généraux, in La Civiltà Cattolica du 4 janvier 2014), pp. 10-11
[11] Cf. Ivo COELHO, La formation est permanente, in ACG 425 (2017) pp. 26-40 dans l’édition en langue française
[12] Giuseppe CAFASSO, Esercizi spirituali al clero, I-Meditazioni, 641-642.
[13] Cf. p.e., OT 5; PI 32; PDV 66; Directives (1993) 29-32
[14] Francesco CEREDA, ACG 404, p. 66
[15] CONGRÉGATION POUR LE CLERGÉ, Le don de la vocation presbytérale : Ratio Fundamentalis Institutionis Sacerdotalis, Rome 2016, Introduction, 3. Caractéristiques et contenus fondamentaux
[16] Andrea BOZZOLO, «Salesiano prete e Salesiano coadiutore. Spunti per un’interpretazione teologica» [Salésien prêtre et Salésien coadjuteur. Notes pour une interprétation théologique], Sapientiam dedit illi. Studi su don Bosco e sul carisma salesiano [Dieu lui a donné la sagesse. Études sur Don Bosco et le charisme salésien], Rome, 2015, 335.
[17] CONGRÉGATION POUR L’ÉDUCATION CATHOLIQUE, Directives pour la préparation des Éducateurs de Séminaires, Rome, 1993, 70-71
[18] Cf. SYNODE DES ÉVÊQUES, XVème Assemblée Générale Ordinaire, Les jeunes, la foi et le discernement vocationnel. Document préparatoire, Cité du Vatican, 2017, III.2 : Les figures de référence
[19] PAPE FRANÇOIS, « La Curie Romaine et le Corps du Christ », Présentation des vœux de Noël de la Curie Romaine, 22 décembre 2014 http://w2.vatican.va/content/francesco/it/speeches/2014/december/documents/papa-francesco_20141222_curia-romana.html (24.11.2017).
[20] Pascual CHÁVEZ, Vocation et formation, in ACG 416, pp. 27-28 dans l’édition en langue française
[21] CONGRÉGATION POUR LA VIE CONSACRÉE ET LES SOCIÉTÉS DE VIE APOSTOLIQUE, À vin nouveau, outres neuves, 2017, 40
[22] Ángel FERNÁNDEZ ARTIME, Seigneur, donne-moi de cette eau (Jn 4,15). Cultivons l’art de l’écoute et de l’accompagnement. Présentation de l’Étrenne 2018, Rome, 16 juillet 2017
[23] CONGRÉGATION POUR LE CLERGÉ, Directoire pour le ministère et la vie des prêtres, nouvelle édition, 2013, 73.
[24] Cf. Francesco CEREDA, ACG 404, 80