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Levez les yeux et regardez les champs qui se dorent pour la moisson

MISSIONS - DOCUMENTS


LETTRES DU RECTEUR MAJEUR - JUAN VECCHI

Levez les yeux et regardez les champs qui se dorent pour la moisson [1]



Notre engagement missionnaire en vue de l’an 2000 1. Avec les yeux du Christ – 2. Une Famille missionnaire. – 3. Une phase nouvelle dans notre pratique missionnaire. – 4. La primauté de l’évangélisation. – 5. Une tâche nécessaire et délicate: l’inculturation. La place centrale du mystère du Christ; bonne compréhension de la culture; en communauté; le travail d’inculturation; les parcours. – 6. Le dialogue interreligieux et œcuménique. Attitudes et modalités salésiennes dans le dialogue. – 7. Un mot d’ordre: renforcer. – 8. Nouveaux fronts. – 9. Ensemble vers l’an 2000.Conclusion.

Rome, 1er janvier 1998

1. Avec les yeux du Christ.
« Levez les yeux et regardez les champs » [2] , c’est l’invitation adressée par Jésus aux disciples quand, après son dialogue avec la Samaritaine, il lui suggèrent de manger. Mystérieux regard que celui de Dieu qui voit le monde comme un champ de blé prêt pour la moisson!
Nous trouvons le secret de ce regard dans ses paroles: « Ma nourriture, c’est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé et d’accomplir son œuvre » [3] . La volonté du Père est le salut de chacun. Avec le Christ Sauveur universel, elle est annoncée et étendue à tous les peuples et à tous les temps.
Pendant qu’elle se réalise, le Père agit dans l’humanité. Il prépare le cœur d’un grand nombre et garde vivantes les attentes des peuples, pour qu’ils arrivent à lire les signes de leur salut. Il inspire d’intervenir à ceux qui s’attachent à sa volonté et ont pour l’homme le même amour que le Christ. C’est pourquoi il y a toujours beaucoup à moissonner dans le monde. Jésus l’affirme au présent: « C’est l’heure de la moisson » [4] .
La maturité de la moisson se doit aussi à la communion admirable que crée l’Esprit entre les générations dans une histoire réelle de salut. « D’autres ont peiné avant vous et vous, vous profitez de leurs travaux » [5] . Rien n’est perdu des efforts ni des temps qui ont précédé, malgré l’infécondité et les lenteurs apparentes.
La mission de Jésus en terre de Samarie est comme le prélude de l’évangélisation des peuples. Elle suggère l’esprit avec lequel il faut la réaliser. Aux disciples qui ne connaissent pas le projet de Dieu, Jésus indique le moment de l’accomplir: maintenant!
Il faut apprendre à regarder et se mettre au travail sans attendre, comme ils le pensent, d’autres phases de maturation. Tout est prêt, disposé par le Père, le Fils et l’Esprit Saint. Il faut commencer la récolte et faire de nouvelles semailles: « L’un sème, l’autre moissonne » [6] . C’est le regard et la confiance qui devront guider l’entreprise qu’il leur confiera: « Allez dans le monde entier. Proclamez le Bonne Nouvelle à toute la création » [7] .
Jésus enseigne aussi à distinguer les « signes » de la maturité des temps. Le don de Dieu parvient à ceux qui étaient tenus à l’écart et devient en eux une source intérieure d’intelligence, d’amour et de paix; ils se mettent à leur tour à annoncer Jésus par le témoignage et la parole; il se crée ainsi un nouvel espace où se réalise pour tous la rencontre de l’homme avec Dieu, au-dessus et indépendamment de toute loi et expérience religieuses préalables. C’est l’espace créé par l’offrande de Dieu et par l’accueil sincère de l’homme: « L’heure vient où vous n’irez plus sur cette montagne ni à Jérusalem pour adorer le Père. […] Les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité » [8] . Jésus affirme ainsi le caractère à la fois historique et unique de l’événement qui marque la manifestation de Dieu: « Le salut vient des Juifs » [9] .
Moi aussi, avec le regard du Christ suggéré par Dieu à ses disciples, j’ai pu me rendre compte de l’abondance de la moisson à récolter aujourd’hui et de l’étendue des terres à ensemencer pour l’avenir. J’ai entrevu le travail de préparation que le Père a accompli et qu’il est en train de réaliser en attendant ceux qu’il enverra travailler.
Les temps sont mûrs. Cela se voit à l’écoute donnée par tant de gens à l’annonce de l’Evangile, à l’accueil que reçoivent les propositions de bien, à la générosité de ceux qui s’unissent à nous dans les activités apostoliques et missionnaires. Des fruits se récoltent partout, même si, selon la prédiction du Seigneur, les champs ont encore des surfaces arides et improductives.
Le 28 septembre dernier, en la basilique de Marie Auxiliatrice, j’ai remis le crucifix à 33 nouveaux missionnaires. C’était la 127e expédition qui nous reliait à la première, pleine d’audace et de prophétie, que Don Bosco prépara et envoya le 11 novembre 1875. Durant la cérémonie, je remerciais Dieu des signes de nouvelle fécondité qui apparaissaient dans le groupe. Les missionnaires provenaient de tous les continents et ils comptaient aussi des laïcs. Dans un cas, (un jeune couple!), la vocation missionnaire s’associait et s’intégrait à la promesse conjugale. Certains se destinaient à poursuivre un travail commencé précédemment, tandis que d’autres se voyaient confier le défrichement de terrains nouveaux pour fonder de nouvelles présences: semer et moissonner!
Je pensais à la « loi » de tout travail apostolique: « La moisson est abondante, et les ouvriers sont peu nombreux » [10] . C’est une constante de l’évangélisation. Le Père remplit le monde de ses dons et de ses invitations. La richesse du Christ est immense. Même s’ils se multipliaient par cent, les ouvriers seraient toujours peu nombreux pour dispenser une telle abondance.
Les mêmes pensées m’ont occupé durant ma visite à notre ancienne mission de Chine, et je me suis réjoui avec les confrères des nouvelles semailles qui se font au Cambodge; de même lorsqu’en Afrique du Sud j’ai constaté l’abondance des résultats (en particulier au Swaziland et au Lesotho) et lorsque je me mettais à prévoir l’avenir pour d’autres lieux qui en sont aujourd’hui aux premières phases des travaux.

2. Une Famille missionnaire.
Don Bosco s’est senti attiré par le travail missionnaire. Son désir et son intention ne se sont pas traduits immédiatement dans un « départ géographique » comme il l’avait pensé. Le discernement éclairé de son confesseur avait entrevu d’autres routes prédisposées pour lui.
Mais l’esprit missionnaire garda chez lui la même intensité et continua à inspirer sa vision, son élan et sa situation de pasteur: il fut missionnaire à Turin. Il partit à la rencontre des jeunes marginaux et délaissés; il se tourna vers les frontières de l’évangélisation et de l’éducation dans les villes.
Plus tard il réalisa aussi son projet missionnaire en terres lointaines, et cela de multiples façons: envoyer chaque année, à partir de 1875, des expéditions missionnaires, allumer chez les jeunes et les confrères la passion de la diffusion de l’Evangile et l’enthousiasme pour la vie chrétienne, rêver jour et nuit de nouvelles entreprises, répandre par le Bulletin la sensibilité missionnaire, chercher des ressources et entretenir des relations qui aideraient l’œuvre des missionnaires.
Le souci missionnaire devint ainsi un trait caractéristique de tout salésien, parce qu’à la racine même de l’esprit salésien. Il n’est donc pas un surcroît pour quelques uns, mais comme le cœur de la charité pastorale, le don qui caractérise la vocation de tous.
Où qu’il se trouve, chacun considère que « notre science la plus éminente est de connaître Jésus-Christ, et notre joie la plus profonde est de révéler à tous les insondables richesses de son mystère » [11] . Il pense donc à ceux qui ont besoin de la lumière et de la grâce du Christ; il ne se contente pas de soigner ceux qui « sont déjà là »; mais il va vers les frontières sociales et religieuses.
Ce n’est pas par hasard que Paul VI nous a appelés « missionnaires des jeunes »: catéchistes pour certains et porteurs d’une première annonce pour beaucoup d’autres; éducateurs dans les institutions, mais aussi itinérants dans le vaste champ des situations des jeunes non encore rejointes par ces institutions.
Dans les mêmes expéditions missionnaires Don Bosco a uni ces deux orientations de l’esprit missionnaire. Le P. Ceria a voulu le documenter dans les Annales: « Il se préoccupait fortement, a-t-il écrit, de la situation des Italiens qui en un très grand nombre toujours croissant vivaient dans la dispersion […]. Exilés volontaires dans l’espoir de faire fortune, sans écoles pour leurs enfants, loin de toute possibilité de pratiquer la religion à cause de la distance ou faute de bons prêtres parlant leur langue, ils risquaient de former des masses populaires sans foi ni loi » [12] . Le projet missionnaire comprenait aussi « les chrétiens » lointains, oubliés, abandonnés, émigrés.
Ces derniers temps, on a parlé de « terres de mission » - ce n’était pas par simple goût des images - à propos des contextes marqués par une tradition chrétienne. La paroisse se présente alors comme une « communauté missionnaire », et l’école, comme un « milieu de mission ». Sans nier les distinctions techniques, il est évident que chacune de nos communautés se trouve aujourd’hui également sur des fronts qui ressemblent très fort à ceux de la première évangélisation.
Parce que le sens missionnaire n’est pas « en option », mais appartient à l’essence de l’esprit salésien à toute époque et en toute situation, nous l’avons proposé à toutes les Provinces dans la programmation du Recteur majeur et de son Conseil, comme objet d’attention pour le sexennat 1996-2002.
Parmi les activités concrètes qui permettent de réaliser notre signifiance, nous avons indiqué qu’il fallait renforcer l’engagement de la Congrégation en faveur des plus démunis, viser à intensifier l’éducation des jeunes à la foi de façon à éveiller des vocations et à orienter le plus possible de forces (personnes, projets et moyens) vers les missions « ad gentes ».
L’esprit et le style missionnaires se manifestent avec éloquence dans la disponibilité des nombreux confrères à travailler dans des zones de première annonce et de fondation de l’Eglise; mais ils sont en fait assumés par tous dans l’accomplissement de leur mission. La volonté d’évangéliser et la capacité d’exprimer de façon transparente le message évangélique est le point qui unit nos différentes réalisations.
Les confrères qui s’engagent sur les fronts se sentent soutenus par la prière, la proximité, la collaboration concrète de tous ceux qui partagent avec eux la même passion. C’est pourquoi les Constitutions affirment que « nous reconnaissons dans le travail missionnaire un trait essentiel de notre Congrégation » [13] .
A propos de notre recherche des plus pauvres j’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer dans la lettre « Il fut pris de pitié pour eux » [14] , et elle reste un des critères fondamentaux pour nous réajuster. C’est en effet le trait qui marque la naissance de notre charisme et révèle la force qui pousse la communauté des disciples du Christ: la charité.
La mission « ad gentes » fait l’objet de cette lettre-ci. J’entends proposer quelques orientations sur deux axes d’action qui se révèlent plus urgents aujourd’hui: qualifier les présences missionnaires existantes et nous orienter vers de nouveaux fronts. Renforcer et avancer; donner une consistance « pastorale » à ce qui a été entrepris ces derniers temps et nous tourner vers des terres encore inexplorées et des destinataires non encore rejoints, pour faire parvenir à tous la lumière de l’Evangile.
J’ai toujours à l’esprit - et c’est aussi un point solide pour les idées que je vous offre - une particularité de l’œuvre missionnaire des salésiens: elle s’engage dans la première évangélisation et la fondation des Eglises; mais dès le début elle est appelée à enrichir la communauté chrétienne d’un charisme unique: celui de la prédilection pour les jeunes des milieux populaires à éduquer.
Le charisme détermine, sans l’enfermer, la modalité et la direction de l’œuvre missionnaire, et celle-ci donne de la vitalité à notre charisme en lui rendant sa vigueur évangélique et son sens ecclésial.
Je voudrais susciter un renouveau d’enthousiasme pour les missions dans toutes les Provinces et inviter les confrères, de tout âge, à envisager l’éventualité d’un engagement missionnaire.
Fasse le Seigneur que se réalise aujourd’hui ce qui se passa au Valdocco lorsque Don Bosco imagina, prépara et envoya la première expédition et celles qui la suivirent immédiatement.
« Entre temps, racontent les Annales, les actes et les paroles de Don Bosco sur les missions avaient jeté un ferment nouveau parmi les élèves et les confrères. On vit alors se multiplier les vocations à l’état ecclésiastique: les demandes d’inscription dans la Congrégation se multiplièrent aussi de façon sensible et le zèle de l’apostolat s’empara de beaucoup de ceux qui y étaient inscrits » [15] .

3. Une phase nouvelle dans notre pratique missionnaire.
Notre pratique missionnaire se retrouve aujourd’hui dans le sillage d’une tradition d’esprit d’entreprise, de zèle, de ténacité et de créativité: ses résultats sont indéniables. Elle mériterait une étude plus approfondie, pour la comprendre à fond et en tirer profit. Elle s’est implantée et a donné ses preuves dans des régions et des cultures très diverses durant une période suffisamment longue pour offrir une garantie de sa solidité. Le premier projet missionnaire d’expansion en Amérique (1875-1900), puis celui qui a porté la diffusion de la Congrégation en Asie (1906-1950) et la récente expansion en Afrique ont forgé notre modalité typique d’action missionnaire, dont les traits ont été regroupés et condensés dans les Constitutions et les Règlements [16] .
Aujourd’hui cette pratique a besoin de se repenser. La réflexion du Concile Vatican II et les approfondissements de la théologie ont ouvert de nouvelles perspectives à la missionologie, face aux événements qui marquent la vie de l’Eglise et le monde actuel: le mouvement œcuménique, le réveil et la valorisation des religions, la valence humaine et sociale des cultures, l’intercommunication au niveau mondial, la croissance des nouvelles Eglises et leur vie de foi en interaction avec leur contexte, le déclin des anciennes régions de chrétienté.
Ces phénomènes ont provoqué un approfondissement sur la grâce de la création et sur l’œuvre du Père dans le salut de chacun, ainsi que sur la présence de l’Esprit dans la vie de l’humanité.
Avec ces nouvelles perspectives surgissent des questions, qu’il nous faut connaître et résoudre comme il se doit du point de vue doctrinal et pratique. Elles portent sur la valeur du christianisme pour le salut de l’homme, sur la portée de la médiation universelle du Christ, sur le rôle de l’Eglise et par conséquent sur le sens même de l’évangélisation et de ses voies actuelles.
Plusieurs de ces perspectives et de ces questions ont été affrontées dans l’encyclique Redemptoris missio, et son étude est donc indispensable. Et les Synodes continentaux convoqués en vue d’une nouvelle évangélisation s’expriment avec abondance sur les mêmes sujets dont ils font des analyses circonstanciées.
Des indications pour notre pratique missionnaire nous viennent encore aujourd’hui des exigences de l’exhortation apostolique sur la Vie consacrée. Car elle confie aux religieux le soin d’être attentifs à certains aspects qui sont apparus ces dernières années.
Paul VI avait déjà souligné la participation des religieux à l’œuvre des missions: « Ils sont entreprenants, et leur apostolat est marqué souvent par une originalité, un génie qui forcent l’admiration. Ils sont généreux: on les trouve souvent aux avant-postes de la mission, et ils prennent les plus grands risques pour leur santé et leur propre vie » [17] .
Jean Paul II l’a mis en lumière dans l’encyclique Redemptoris missio: « L’histoire atteste les grands mérites des familles religieuses dans la propagation de la foi et dans la formation de nouvelles Eglises, depuis les antiques Institutions monastiques et les Ordres médiévaux jusqu’aux Congrégations modernes » [18] .
En termes plus directs, l’exhortation sur la Vie consacrée considère la « missio ad gentes » comme une dimension de tous les charismes, parce qu’elle fait partie de la donation totale que suppose la consécration. La mission d’un Institut, affirme-t-elle, ne s’explique pas seulement par les œuvres propres à son charisme, mais surtout par la participation à la grande œuvre ecclésiale de la « missio ad gentes » [19] .
L’Eglise attend aujourd’hui de la part des consacrés « le plus grand engagement possible » [20] et leur confie la tâche spécifique d’annoncer le Christ à tous les peuples avec un enthousiasme nouveau.
En plus de l’apport quantitatif réalisé dans le passé, vérifiable aujourd’hui et souhaité pour l’avenir, l’exhortation apostolique souligne quelques aspects actuels de l’action missionnaire pour lesquels les religieux semblent particulièrement doués.
Elle attribue aux consacrés une aptitude particulière à inculturer l’Evangile et leur charisme dans les différents peuples. « Soutenues par le charisme de leurs fondateurs et fondatrices, de nombreuses personnes consacrées ont su rejoindre les différentes cultures dans l’attitude de Jésus qui ‘s’anéantit lui-même, prenant condition d’esclave’ (Ph 2, 7) et, par un effort de dialogue patient et audacieux, elles ont établi des contacts profitables avec les peuples les plus divers, annonçant à tous le chemin du salut » [21] . On attend donc beaucoup de leur part pour travailler à l’inculturation et l’orienter comme il se doit.
Elle affirme quelque chose d’analogue à propos du dialogue interreligieux. Vu que le centre de la vie des consacrés est l’expérience de Dieu, ils ont une disposition particulière pour entrer en dialogue avec d’autres expériences, également sincères, présentes dans les différentes religions [22] .
À la portée nouvelle acquise par la vie consacrée correspond, par ailleurs, l’impulsion nouvelle donnée à la condition laïque. Si les Eglises fondées doivent, dès leur début, manifester la sainteté et la nouveauté de vie du peuple de Dieu, la formation chrétienne des croyants est primordiale. Les laïcs sont appelés par ailleurs à développer leur participation active à la communauté et au service du monde. La nouvelle dimension du laïcat modifie l’image même de la communauté chrétienne et son fonctionnement. L’exhortation apostolique sur l’Eglise en Afrique dit ceci: «On aidera les laïcs à prendre de plus en plus conscience de leur rôle dans l’Eglise […]. On formera les laïcs à cette fin » [23]
Dans cet ordre d’idées s’ordonnent de façon différente les efforts et les compétences des consacrés et des prêtres.
A la lumière de ces encouragements, mettons au point quelques questions, en supposant connue la pratique salésienne ordinaire.

4. La primauté de l’évangélisation.
L’évangélisation implique plusieurs aspects: présence, témoignage, prédication, appel à la conversion personnelle, formation de l’Eglise, catéchèse; et en outre: inculturation, dialogue interreligieux, éducation, option préférentielle pour les pauvres, promotion humaine, transformation de la société. Sa complexité et son organisation ont été exposées et présentées de façon officielle par l’exhortation Evangelii nuntiandi [24]
Mais il y a un noyau principal, sans lequel l’évangélisation n’est pas authentique, qui donne un sens et oriente le tout et dicte même les critères et les modalités selon lesquels doit se faire tout le reste: c’est l’annonce du Christ, la première annonce qui présente Jésus Christ à ceux qui ne le connaissent pas encore, aussi bien que le cheminement qui doit suivre pour permettre d’approfondir son mystère jusqu’à pousser à l’apostolat.
Le Synode de l’Eglise d’Afrique dit à ce propos: « Evangéliser, c’est annoncer par la parole et par la vie la Bonne Nouvelle de Jésus Christ, crucifié, mort et ressuscité, chemin, vérité et vie » [25] . « Il est donc nécessaire que la nouvelle évangélisation soit centrée sur la rencontre avec la personne vivante du Christ ». « Elle doit atteindre l’homme et la société à tous les niveaux de leur existence » [26] .
De quelle façon les aspects qui viennent d’être énumérés sont-ils à considérer - ou même le sont-ils en fait - comme complémentaires et convergents vers l’unique but qui est précisément de connaître le Christ toujours plus en profondeur, d’adhérer à sa personne par la foi et de participer à sa vie? C’est une question que les communautés missionnaires n’ont pas à résoudre seulement de façon doctrinale, mais aussi dans leur projet quotidien d’action.
Dans la pratique missionnaire, en effet, il peut y avoir des déséquilibres à cause des option prises, de l’étroitesse des vues ou des limites des possibilités, ou faute d’attention. Pour les prévenir, il faut fixer des priorités et opérer certains dosages. L’un d’eux est le juste rapport entre l’annonce explicite du Christ sous ses diverses formes (la première annonce, la catéchèse, le soin de la communauté des croyants, la formation chrétienne des personnes) et la promotion humaine. L’exhortation Evangelii nuntiandi en a présenté avec une clarté définitive les « liens profonds » et ce qui les distingue; elle a présenté aussi les principes éclairants qui permettent de saisir la portée et le sens profond de la libération, telle que l’a annoncée et réalisée Jésus de Nazareth, et comme la pratique l’Eglise [27] .
La tradition et l’esprit salésiens soulignent l’harmonie et la référence réciproque entre ces dimensions de l’évangélisation; en même temps, ils en mettent au clair la hiérarchie des significations. La formule la plus claire se trouve dans les Constitutions: « Nous éduquons et nous évangélisons selon un projet de promotion intégrale de l’homme, orienté vers le Christ, homme parfait » [28] ; « Pour nous aussi, l’évangélisation et la catéchèse sont la dimension fondamentale de notre mission » [29] . C’est d’elle et de Celui qui en fait l’objet que prend son sens notre engagement pour l’homme.
Il faut donc donner la priorité à l’évangélisation sous ses différentes formes: dans notre préparation, notre zèle, et dans l’emploi de notre temps, de notre personnel et de nos ressources.
L’idéal d’une situation missionnaire est celle qui était envisagée dans les orientations pratiques du CGS qui demandaient que la Province devienne une « communauté au service de l’évangélisation » [30] , que chaque communauté salésienne devienne une « communauté évangélisatrice » [31] , que chaque salésien soit un « évangélisateur » [32] .
À notre époque de nouvelle évangélisation, l’Eglise oriente plus que jamais nos regards et notre espérance vers le Christ. Le connaître et l’accueillir, voilà qui transforme la personne et la sauve, sans ignorer ni négliger ses conditions temporelles, mais en les transcendant. Présenter cette annonce du salut, telle est la mission de l’Eglise.
Au sein de tout cela, il y a un équilibre à établir: entre la première annonce et le soin de développer la foi des individus et de la communauté chrétienne, entre l’effort de répandre la foi et de la renforcer. Ce dernier comprend l’éducation des jeunes dans la foi, la formation des adultes selon leurs différentes situations, la préparation des artisans et des ministres de la pastorale, l’unité et le témoignage des communautés chrétiennes, l’engagement apostolique de la part des croyants.
Les deux aspects sont à satisfaire de façon suffisante: étendre l’annonce et donner consistance à la communauté. C’est une tâche des Provinces, de chaque communauté et de chacun: ils doivent devenir capables de mener à bien le travail d’évangélisation jusqu’à son degré optimal.
Il y a enfin le dosage opportun entre les moyens et l’annonce, entre les structures et la présence parmi le peuple, entre l’organisation des œuvres et la communication directe, entre le service et l’insertion. Moyens, structures et organisation sont fonction de l’annonce, de la présence et de la communication. Et ils devraient avoir un style en proportion et en correspondance. Lorsque les structures et les moyens sont trop lourds, ou lorsque pour les créer ou les maintenir nous devons trop limiter notre méditation de la Parole à proclamer, notre communication directe, le temps que nous consacrons à l’annonce et à la formation des personnes, il faut les repenser à la lumière d’un projet mieux centré sur l’essentiel.

5. Une tâche nécessaire et délicate: l’inculturation.
C’est un thème souvent souligné et approfondi de nos jours. Il est présenté de façon systématique dans divers documents de l’Eglise. Les Synodes continentaux s’en sont longuement occupés. Les textes préparatoires et les discussions, ainsi que les exhortations qui ont suivi, en ont parlé avec une clarté suffisante pour en souligner le caractère indispensable, en expliciter les fondements théologiques, en indiquer les critères et les voies de réalisation et en désigner les terrains préférentiels d’application [33] .
Notre synthèse caractéristique entre l’éducation et l’évangélisation nous donne une sensibilité particulière à l’inculturation; c’est pourquoi, nous les salésiens, nous lui avons accordé notre attention. Le P. Egidio Vigan