Levez les yeux et regardez les champs qui se dorent pour la moisson [1]
Notre engagement missionnaire en vue de l’an 2000 1. Avec les yeux du
Christ – 2. Une Famille missionnaire. – 3. Une phase nouvelle dans notre pratique missionnaire. – 4. La primauté de l’évangélisation. – 5. Une tâche nécessaire et délicate: l’inculturation. La place centrale du mystère du Christ; bonne compréhension de la culture; en communauté; le
travail d’inculturation; les parcours. – 6. Le dialogue interreligieux
et œcuménique. Attitudes et modalités salésiennes dans le dialogue.
– 7. Un mot d’ordre: renforcer. – 8. Nouveaux fronts. – 9. Ensemble vers l’an 2000. – Conclusion.
Rome, 1er janvier 1998
1. Avec les yeux du Christ.
« Levez les yeux et regardez
les champs » [2] , c’est l’invitation adressée par Jésus aux disciples quand, après son
dialogue avec la Samaritaine, il lui suggèrent de manger. Mystérieux regard
que celui de Dieu qui voit le monde comme un champ de blé prêt pour la moisson!
Nous trouvons le secret de ce regard
dans ses paroles: « Ma nourriture, c’est de faire la volonté de
celui qui m’a envoyé et d’accomplir son œuvre » [3] .
La volonté du Père est le salut de chacun. Avec le Christ Sauveur universel,
elle est annoncée et étendue à tous les peuples et à tous les temps.
Pendant qu’elle se réalise, le
Père agit dans l’humanité. Il prépare le cœur d’un grand nombre et garde vivantes
les attentes des peuples, pour qu’ils arrivent à lire les signes de leur salut.
Il inspire d’intervenir à ceux qui s’attachent à sa volonté et ont pour l’homme
le même amour que le Christ. C’est pourquoi il y a toujours beaucoup à moissonner
dans le monde. Jésus l’affirme au présent: « C’est l’heure de la
moisson » [4] .
La maturité de la moisson se doit
aussi à la communion admirable que crée l’Esprit entre les générations dans
une histoire réelle de salut. « D’autres ont peiné avant vous et vous,
vous profitez de leurs travaux » [5] . Rien n’est perdu des
efforts ni des temps qui ont précédé, malgré l’infécondité et les lenteurs
apparentes.
La mission de Jésus en terre de
Samarie est comme le prélude de l’évangélisation des peuples. Elle suggère
l’esprit avec lequel il faut la réaliser. Aux disciples qui ne connaissent
pas le projet de Dieu, Jésus indique le moment de l’accomplir: maintenant!
Il faut apprendre à regarder et
se mettre au travail sans attendre, comme ils le pensent, d’autres phases
de maturation. Tout est prêt, disposé par le Père, le Fils et l’Esprit Saint.
Il faut commencer la récolte et faire de nouvelles semailles: « L’un
sème, l’autre moissonne » [6] . C’est le regard et la confiance qui
devront guider l’entreprise qu’il leur confiera: « Allez dans le
monde entier. Proclamez le Bonne Nouvelle à toute la création » [7] .
Jésus enseigne aussi à distinguer
les « signes » de la maturité des temps. Le don de Dieu parvient
à ceux qui étaient tenus à l’écart et devient en eux une source intérieure
d’intelligence, d’amour et de paix; ils se mettent à leur tour à annoncer
Jésus par le témoignage et la parole; il se crée ainsi un nouvel espace
où se réalise pour tous la rencontre de l’homme avec Dieu, au-dessus et indépendamment
de toute loi et expérience religieuses préalables. C’est l’espace créé par
l’offrande de Dieu et par l’accueil sincère de l’homme: « L’heure
vient où vous n’irez plus sur cette montagne ni à Jérusalem pour adorer le
Père. […] Les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité »
[8] . Jésus affirme ainsi le caractère à la fois historique et
unique de l’événement qui marque la manifestation de Dieu: « Le
salut vient des Juifs » [9] .
Moi aussi, avec le regard du Christ
suggéré par Dieu à ses disciples, j’ai pu me rendre compte de l’abondance
de la moisson à récolter aujourd’hui et de l’étendue des terres à ensemencer
pour l’avenir. J’ai entrevu le travail de préparation que le Père a accompli
et qu’il est en train de réaliser en attendant ceux qu’il enverra travailler.
Les temps sont mûrs. Cela se voit
à l’écoute donnée par tant de gens à l’annonce de l’Evangile, à l’accueil
que reçoivent les propositions de bien, à la générosité de ceux qui s’unissent
à nous dans les activités apostoliques et missionnaires. Des fruits se récoltent
partout, même si, selon la prédiction du Seigneur, les champs ont encore des
surfaces arides et improductives.
Le 28 septembre dernier, en la
basilique de Marie Auxiliatrice, j’ai remis le crucifix à 33 nouveaux missionnaires.
C’était la 127e expédition qui nous reliait à la première, pleine
d’audace et de prophétie, que Don Bosco prépara et envoya le 11 novembre 1875.
Durant la cérémonie, je remerciais Dieu des signes de nouvelle fécondité qui
apparaissaient dans le groupe. Les missionnaires provenaient de tous les continents
et ils comptaient aussi des laïcs. Dans un cas, (un jeune couple!),
la vocation missionnaire s’associait et s’intégrait à la promesse conjugale.
Certains se destinaient à poursuivre un travail commencé précédemment, tandis
que d’autres se voyaient confier le défrichement de terrains nouveaux pour
fonder de nouvelles présences: semer et moissonner!
Je pensais à la « loi »
de tout travail apostolique: « La moisson est abondante, et les
ouvriers sont peu nombreux » [10] . C’est une constante
de l’évangélisation. Le Père remplit le monde de ses dons et de ses invitations.
La richesse du Christ est immense. Même s’ils se multipliaient par cent, les
ouvriers seraient toujours peu nombreux pour dispenser une telle abondance.
Les mêmes pensées m’ont occupé durant ma visite à notre ancienne mission
de Chine, et je me suis réjoui avec les confrères des nouvelles semailles
qui se font au Cambodge; de même lorsqu’en Afrique du Sud j’ai constaté
l’abondance des résultats (en particulier au Swaziland et au Lesotho)
et lorsque je me mettais à prévoir l’avenir pour d’autres lieux qui en
sont aujourd’hui aux premières phases des travaux.
2. Une Famille missionnaire.
Don Bosco s’est senti attiré par le
travail missionnaire. Son désir et son intention ne se sont pas traduits immédiatement
dans un « départ géographique » comme il l’avait pensé. Le discernement
éclairé de son confesseur avait entrevu d’autres routes prédisposées pour
lui.
Mais l’esprit missionnaire garda
chez lui la même intensité et continua à inspirer sa vision, son élan et sa
situation de pasteur: il fut missionnaire à Turin. Il partit à la rencontre
des jeunes marginaux et délaissés; il se tourna vers les frontières
de l’évangélisation et de l’éducation dans les villes.
Plus tard il réalisa aussi son
projet missionnaire en terres lointaines, et cela de multiples façons:
envoyer chaque année, à partir de 1875, des expéditions missionnaires, allumer
chez les jeunes et les confrères la passion de la diffusion de l’Evangile
et l’enthousiasme pour la vie chrétienne, rêver jour et nuit de nouvelles
entreprises, répandre par le Bulletin la sensibilité missionnaire, chercher
des ressources et entretenir des relations qui aideraient l’œuvre des missionnaires.
Le souci missionnaire devint ainsi
un trait caractéristique de tout salésien, parce qu’à la racine même de l’esprit
salésien. Il n’est donc pas un surcroît pour quelques uns, mais comme le cœur
de la charité pastorale, le don qui caractérise la vocation de tous.
Où qu’il se trouve, chacun considère
que « notre science la plus éminente est de connaître Jésus-Christ, et
notre joie la plus profonde est de révéler à tous les insondables richesses
de son mystère » [11] . Il pense donc à ceux qui ont besoin
de la lumière et de la grâce du Christ; il ne se contente pas de soigner
ceux qui « sont déjà là »; mais il va vers les frontières
sociales et religieuses.
Ce n’est pas par hasard que Paul
VI nous a appelés « missionnaires des jeunes »: catéchistes
pour certains et porteurs d’une première annonce pour beaucoup d’autres;
éducateurs dans les institutions, mais aussi itinérants dans le vaste champ
des situations des jeunes non encore rejointes par ces institutions.
Dans les mêmes expéditions missionnaires
Don Bosco a uni ces deux orientations de l’esprit missionnaire. Le P. Ceria
a voulu le documenter dans les Annales: « Il se préoccupait
fortement, a-t-il écrit, de la situation des Italiens qui en un très grand
nombre toujours croissant vivaient dans la dispersion […]. Exilés volontaires
dans l’espoir de faire fortune, sans écoles pour leurs enfants, loin de toute
possibilité de pratiquer la religion à cause de la distance ou faute de bons
prêtres parlant leur langue, ils risquaient de former des masses populaires
sans foi ni loi » [12]
. Le projet missionnaire comprenait aussi « les chrétiens »
lointains, oubliés, abandonnés, émigrés.
Ces derniers temps, on a parlé
de « terres de mission » -
ce n’était pas par simple goût des images - à propos des contextes marqués par une tradition chrétienne. La paroisse
se présente alors comme une « communauté missionnaire », et l’école,
comme un « milieu de mission ». Sans nier les distinctions techniques,
il est évident que chacune de nos communautés se trouve aujourd’hui également
sur des fronts qui ressemblent très fort à ceux de la première évangélisation.
Parce que le sens missionnaire
n’est pas « en option », mais appartient à l’essence de l’esprit
salésien à toute époque et en toute situation, nous l’avons proposé à toutes
les Provinces dans la programmation du Recteur majeur et de son Conseil, comme
objet d’attention pour le sexennat 1996-2002.
Parmi les activités concrètes qui
permettent de réaliser notre signifiance, nous avons indiqué qu’il fallait
renforcer l’engagement de la Congrégation en faveur des plus démunis, viser
à intensifier l’éducation des jeunes à la foi de façon à éveiller des vocations
et à orienter le plus possible de forces (personnes, projets et moyens) vers
les missions « ad gentes ».
L’esprit et le style missionnaires
se manifestent avec éloquence dans la disponibilité des nombreux confrères
à travailler dans des zones de première annonce et de fondation de l’Eglise;
mais ils sont en fait assumés par tous dans l’accomplissement de leur mission.
La volonté d’évangéliser et la capacité d’exprimer de façon transparente le
message évangélique est le point qui unit nos différentes réalisations.
Les confrères qui s’engagent sur
les fronts se sentent soutenus par la prière, la proximité, la collaboration
concrète de tous ceux qui partagent avec eux la même passion. C’est pourquoi
les Constitutions affirment que « nous reconnaissons dans le travail
missionnaire un trait essentiel de notre Congrégation » [13]
.
A propos de notre recherche des
plus pauvres j’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer dans la lettre « Il
fut pris de pitié pour eux » [14] , et elle reste un
des critères fondamentaux pour nous réajuster. C’est en effet le trait qui
marque la naissance de notre charisme et révèle la force qui pousse la communauté
des disciples du Christ: la charité.
La mission « ad gentes »
fait l’objet de cette lettre-ci. J’entends proposer quelques orientations
sur deux axes d’action qui se révèlent plus urgents aujourd’hui: qualifier
les présences missionnaires existantes et nous orienter vers de nouveaux fronts.
Renforcer et avancer; donner une consistance « pastorale »
à ce qui a été entrepris ces derniers temps et nous tourner vers des terres
encore inexplorées et des destinataires non encore rejoints, pour faire parvenir
à tous la lumière de l’Evangile.
J’ai toujours à l’esprit - et c’est aussi un point solide pour les
idées que je vous offre - une particularité de l’œuvre missionnaire des
salésiens: elle s’engage dans la première évangélisation et la
fondation des Eglises; mais dès le début elle est appelée à enrichir la
communauté chrétienne d’un charisme unique: celui de la prédilection
pour les jeunes des milieux populaires à éduquer.
Le charisme détermine, sans l’enfermer,
la modalité et la direction de l’œuvre missionnaire, et celle-ci donne de
la vitalité à notre charisme en lui rendant sa vigueur évangélique et son
sens ecclésial.
Je voudrais susciter un renouveau
d’enthousiasme pour les missions dans toutes les Provinces et inviter les
confrères, de tout âge, à envisager l’éventualité d’un engagement missionnaire.
Fasse le Seigneur que se réalise aujourd’hui
ce qui se passa au Valdocco lorsque Don Bosco imagina, prépara et envoya la
première expédition et celles qui la suivirent immédiatement.
« Entre temps, racontent les Annales, les actes et les paroles
de Don Bosco sur les missions avaient jeté un ferment nouveau parmi les
élèves et les confrères. On vit alors se multiplier les vocations à l’état
ecclésiastique: les demandes d’inscription dans la Congrégation se multiplièrent
aussi de façon sensible et le zèle de l’apostolat s’empara de beaucoup
de ceux qui y étaient inscrits »
[15] .
3. Une phase nouvelle dans notre pratique missionnaire.
Notre pratique missionnaire se
retrouve aujourd’hui dans le sillage d’une tradition d’esprit d’entreprise,
de zèle, de ténacité et de créativité: ses résultats sont indéniables.
Elle mériterait une étude plus approfondie, pour la comprendre à fond et en
tirer profit. Elle s’est implantée et a donné ses preuves dans des régions
et des cultures très diverses durant une période suffisamment longue pour
offrir une garantie de sa solidité. Le premier projet missionnaire d’expansion
en Amérique (1875-1900), puis celui qui a porté la diffusion de la Congrégation
en Asie (1906-1950) et la récente expansion en Afrique ont forgé notre modalité
typique d’action missionnaire, dont les traits ont été regroupés et condensés
dans les Constitutions et les Règlements [16] .
Aujourd’hui cette pratique a besoin
de se repenser. La réflexion du Concile Vatican II et les approfondissements
de la théologie ont ouvert de nouvelles perspectives à la missionologie, face
aux événements qui marquent la vie de l’Eglise et le monde actuel: le
mouvement œcuménique, le réveil et la valorisation des religions, la valence
humaine et sociale des cultures, l’intercommunication au niveau mondial, la
croissance des nouvelles Eglises et leur vie de foi en interaction avec leur
contexte, le déclin des anciennes régions de chrétienté.
Ces phénomènes ont provoqué un
approfondissement sur la grâce de la création et sur l’œuvre du Père dans
le salut de chacun, ainsi que sur la présence de l’Esprit dans la vie de l’humanité.
Avec ces nouvelles perspectives
surgissent des questions, qu’il nous faut connaître et résoudre comme il se
doit du point de vue doctrinal et pratique. Elles portent sur la valeur du
christianisme pour le salut de l’homme, sur la portée de la médiation universelle
du Christ, sur le rôle de l’Eglise et par conséquent sur le sens même de l’évangélisation
et de ses voies actuelles.
Plusieurs de ces perspectives et
de ces questions ont été affrontées dans l’encyclique Redemptoris missio,
et son étude est donc indispensable. Et les Synodes continentaux convoqués
en vue d’une nouvelle évangélisation s’expriment avec abondance sur les mêmes
sujets dont ils font des analyses circonstanciées.
Des indications pour notre pratique
missionnaire nous viennent encore aujourd’hui des exigences de l’exhortation
apostolique sur la Vie consacrée. Car elle confie aux religieux le
soin d’être attentifs à certains aspects qui sont apparus ces dernières années.
Paul VI avait déjà souligné la
participation des religieux à l’œuvre des missions: « Ils sont
entreprenants, et leur apostolat est marqué souvent par une originalité, un
génie qui forcent l’admiration. Ils sont généreux: on les trouve souvent
aux avant-postes de la mission, et ils prennent les plus grands risques pour
leur santé et leur propre vie » [17] .
Jean Paul II l’a mis en lumière
dans l’encyclique Redemptoris missio: « L’histoire atteste
les grands mérites des familles religieuses dans la propagation de la foi
et dans la formation de nouvelles Eglises, depuis les antiques Institutions
monastiques et les Ordres médiévaux jusqu’aux Congrégations modernes » [18] .
En termes plus directs, l’exhortation
sur la Vie consacrée considère la « missio ad gentes » comme
une dimension de tous les charismes, parce qu’elle fait partie de la donation
totale que suppose la consécration. La mission d’un Institut, affirme-t-elle,
ne s’explique pas seulement par les œuvres propres à son charisme, mais surtout
par la participation à la grande œuvre ecclésiale de la « missio ad gentes » [19] .
L’Eglise attend aujourd’hui de
la part des consacrés « le plus grand engagement possible » [20]
et leur confie la tâche spécifique d’annoncer le Christ à tous
les peuples avec un enthousiasme nouveau.
En plus de l’apport quantitatif
réalisé dans le passé, vérifiable aujourd’hui et souhaité pour l’avenir, l’exhortation
apostolique souligne quelques aspects actuels de l’action missionnaire pour
lesquels les religieux semblent particulièrement doués.
Elle attribue aux consacrés une
aptitude particulière à inculturer l’Evangile et leur charisme dans les différents
peuples. « Soutenues par le charisme de leurs fondateurs et fondatrices,
de nombreuses personnes consacrées ont su rejoindre les différentes cultures
dans l’attitude de Jésus qui ‘s’anéantit lui-même, prenant condition d’esclave’
(Ph 2, 7) et, par un effort de dialogue patient et audacieux, elles ont établi
des contacts profitables avec les peuples les plus divers, annonçant à tous
le chemin du salut » [21] .
On attend donc beaucoup de leur part pour travailler à l’inculturation et
l’orienter comme il se doit.
Elle affirme quelque chose d’analogue
à propos du dialogue interreligieux. Vu que le centre de la vie des consacrés
est l’expérience de Dieu, ils ont une disposition particulière pour entrer
en dialogue avec d’autres expériences, également sincères, présentes dans
les différentes religions [22] .
À la portée nouvelle acquise par
la vie consacrée correspond, par ailleurs, l’impulsion nouvelle donnée à la
condition laïque. Si les Eglises fondées doivent, dès leur début, manifester
la sainteté et la nouveauté de vie du peuple de Dieu, la formation chrétienne
des croyants est primordiale. Les laïcs sont appelés par ailleurs à développer
leur participation active à la communauté et au service du monde. La nouvelle
dimension du laïcat modifie l’image même de la communauté chrétienne et son
fonctionnement. L’exhortation apostolique sur l’Eglise en Afrique dit
ceci: «On aidera les laïcs à prendre de plus en plus conscience
de leur rôle dans l’Eglise […]. On formera les laïcs à cette fin » [23]
Dans cet ordre d’idées s’ordonnent
de façon différente les efforts et les compétences des consacrés et des prêtres.
A la lumière de ces encouragements, mettons au point quelques questions,
en supposant connue la pratique salésienne ordinaire.
4. La primauté de l’évangélisation.
L’évangélisation implique plusieurs
aspects: présence, témoignage, prédication, appel à la conversion personnelle,
formation de l’Eglise, catéchèse; et en outre: inculturation,
dialogue interreligieux, éducation, option préférentielle pour les pauvres,
promotion humaine, transformation de la société. Sa complexité et son organisation
ont été exposées et présentées de façon officielle par l’exhortation Evangelii
nuntiandi [24]
Mais il y a un noyau principal,
sans lequel l’évangélisation n’est pas authentique, qui donne un sens et oriente
le tout et dicte même les critères et les modalités selon lesquels doit se
faire tout le reste: c’est l’annonce du Christ, la première annonce
qui présente Jésus Christ à ceux qui ne le connaissent pas encore, aussi bien
que le cheminement qui doit suivre pour permettre d’approfondir son mystère
jusqu’à pousser à l’apostolat.
Le Synode de l’Eglise d’Afrique
dit à ce propos: « Evangéliser, c’est annoncer par la parole et
par la vie la Bonne Nouvelle de Jésus Christ, crucifié, mort et ressuscité,
chemin, vérité et vie » [25] . « Il est donc
nécessaire que la nouvelle évangélisation soit centrée sur la rencontre avec
la personne vivante du Christ ». « Elle doit atteindre l’homme et
la société à tous les niveaux de leur existence » [26] .
De quelle façon les aspects qui viennent d’être énumérés sont-ils à
considérer - ou même le sont-ils en fait - comme complémentaires et
convergents vers l’unique but qui est précisément de connaître le
Christ toujours plus en profondeur, d’adhérer à sa personne par la foi
et de participer à sa vie? C’est une question que les communautés
missionnaires n’ont pas à résoudre seulement de façon doctrinale, mais
aussi dans leur projet quotidien d’action.
Dans la pratique missionnaire,
en effet, il peut y avoir des déséquilibres à cause des option prises, de
l’étroitesse des vues ou des limites des possibilités, ou faute d’attention.
Pour les prévenir, il faut fixer des priorités et opérer certains dosages.
L’un d’eux est le juste rapport entre l’annonce explicite du Christ sous ses
diverses formes (la première annonce, la catéchèse, le soin de la communauté
des croyants, la formation chrétienne des personnes) et la promotion humaine.
L’exhortation Evangelii nuntiandi en a présenté avec une clarté définitive
les « liens profonds » et ce qui les distingue; elle a présenté
aussi les principes éclairants qui permettent de saisir la portée et le sens
profond de la libération, telle que l’a annoncée et réalisée Jésus de Nazareth,
et comme la pratique l’Eglise [27] .
La tradition et l’esprit salésiens
soulignent l’harmonie et la référence réciproque entre ces dimensions de l’évangélisation;
en même temps, ils en mettent au clair la hiérarchie des significations. La
formule la plus claire se trouve dans les Constitutions: « Nous
éduquons et nous évangélisons selon un projet de promotion intégrale de l’homme,
orienté vers le Christ, homme parfait » [28]
; « Pour nous aussi, l’évangélisation et la catéchèse
sont la dimension fondamentale de notre mission » [29]
. C’est d’elle et de Celui qui en fait l’objet que prend son sens
notre engagement pour l’homme.
Il faut donc donner la priorité
à l’évangélisation sous ses différentes formes: dans notre préparation,
notre zèle, et dans l’emploi de notre temps, de notre personnel et de nos
ressources.
L’idéal d’une situation missionnaire
est celle qui était envisagée dans les orientations pratiques du CGS qui demandaient
que la Province devienne une « communauté au service de l’évangélisation » [30] , que chaque communauté salésienne
devienne une « communauté évangélisatrice » [31] ,
que chaque salésien soit un « évangélisateur » [32] .
À notre époque de nouvelle évangélisation,
l’Eglise oriente plus que jamais nos regards et notre espérance vers le Christ.
Le connaître et l’accueillir, voilà qui transforme la personne et la sauve,
sans ignorer ni négliger ses conditions temporelles, mais en les transcendant.
Présenter cette annonce du salut, telle est la mission de l’Eglise.
Au sein de tout cela, il y a un
équilibre à établir: entre la première annonce et le soin de développer
la foi des individus et de la communauté chrétienne, entre l’effort de répandre
la foi et de la renforcer. Ce dernier comprend l’éducation des jeunes dans
la foi, la formation des adultes selon leurs différentes situations, la préparation
des artisans et des ministres de la pastorale, l’unité et le témoignage des
communautés chrétiennes, l’engagement apostolique de la part des croyants.
Les deux aspects sont à satisfaire
de façon suffisante: étendre l’annonce et donner consistance à la communauté.
C’est une tâche des Provinces, de chaque communauté et de chacun: ils
doivent devenir capables de mener à bien le travail d’évangélisation jusqu’à
son degré optimal.
Il y a enfin le dosage opportun entre les moyens et l’annonce, entre les
structures et la présence parmi le peuple, entre l’organisation des œuvres
et la communication directe, entre le service et l’insertion. Moyens,
structures et organisation sont fonction de l’annonce, de la présence
et de la communication. Et ils devraient avoir un style en proportion
et en correspondance. Lorsque les structures et les moyens sont trop lourds,
ou lorsque pour les créer ou les maintenir nous devons trop limiter notre
méditation de la Parole à proclamer, notre communication directe, le temps
que nous consacrons à l’annonce et à la formation des personnes, il faut
les repenser à la lumière d’un projet mieux centré sur l’essentiel.
5. Une tâche nécessaire et délicate: l’inculturation.
C’est un thème souvent souligné
et approfondi de nos jours. Il est présenté de façon systématique dans divers
documents de l’Eglise. Les Synodes continentaux s’en sont longuement occupés.
Les textes préparatoires et les discussions, ainsi que les exhortations qui
ont suivi, en ont parlé avec une clarté suffisante pour en souligner le caractère
indispensable, en expliciter les fondements théologiques, en indiquer les
critères et les voies de réalisation et en désigner les terrains préférentiels
d’application [33] .
Notre synthèse caractéristique
entre l’éducation et l’évangélisation nous donne une sensibilité particulière
à l’inculturation; c’est pourquoi, nous les salésiens, nous lui avons
accordé notre attention. Le P. Egidio Vigan