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Messe pour la 143ème expédition missionnaire - XXVIème DIMANCHE

Messe pour la 143ème expédition missionnaire


XXVIème DIMANCHE (Turin, 30.09.2012)


«Celui qui n'est pas contre nous est pour nous» (Nb 11,25-29; Jc 5,1-6; Mc 9,38-43.45.47-48)

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Bien chers frères et sœurs dans le Christ Jésus,

Nous sommes rassemblés en son nom pour célébrer son mémorial, sacrement de notre salut, et pour écouter sa Parole qui est lumière et force pour notre vie. C'est dans ce contexte eucharistique que nous lançons, encore une fois, la nouvelle expédition missionnaire salésienne.

Comme en 1875, lorsque Don Bosco envoya les premiers salésiens en Amérique, aujourd'hui encore, le Recteur Majeur, en sa qualité de successeur de Don Bosco, envoie 45 Salésiens, 15 Filles de Marie Auxiliatrice et 11 Volontaires laïcs d'Italie et de Pologne. Nous remercions le Seigneur qui continue à susciter dans son Église des hommes et des femmes, des jeunes gens et des jeunes filles, consacrés et laïcs, comme vous, qui accueillent le mot d'ordre du Seigneur Jésus avant son Ascension : «Vous allez recevoir une force, celle du Saint-Esprit, qui viendra sur vous. Alors vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu'aux extrémités de la terre » (Actes 1,8). Nous remercions chacun d’eux, parce qu'avec leur réponse généreuse à la vocation missionnaire, ils rendent possible la « missio ad Gentes », qui fait parti de la nature de l'Église, appelée à partager « les joies et les espoirs, les angoisses et les souffrances du monde ».

La Parole de Dieu que nous venons d'entendre et le Sacrifice de la Croix que nous célébrons, expression suprême de l'amour de celui qui s'est livré totalement, éclairent cet événement.

En effet, être missionnaire est un don de l'Esprit qui appelle sans cesse tous les chrétiens à être disciples, témoins et apôtres du Seigneur crucifié et ressuscité, et à aller partout, jusqu'aux extrémités les plus éloignées du monde, pour annoncer le salut que Dieu nous a offert en son Fils Bien-aimé, et le traduire par l'engagement à rendre plus humaine la vie de tous à travers le don de sa propre vie, dans le domaine de l'éducation, de la promotion humaine, de l'engagement social. Annonce et témoignage sont les deux manières de prolonger l'action révélatrice du Christ qui est venu « porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux prisonniers qu'ils sont libres, et aux aveugles qu'ils verront la lumière, apporter aux opprimés la libération, annoncer une année de bienfaits accordée par le Seigneur » (Lc 4,18-19).

Les missionnaires salésiens, justement parce qu'ils sont « signes porteurs de l'amour de Dieu » (Const. 2), vérifient ce qu'a écrit l'auteur de la première lettre de Jean : « Dieu, personne ne l'a jamais vu. Mais si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous, et son amour atteint en nous sa perfection » (4,12). Voilà la grandeur de l'amour qui mène à sa perfection celui qui est aimé et celui qui aime. Chers frères et sœurs, l'Eucharistie doit donc être le lieu et le moment le plus important de votre vie, de votre journée, car elle vous rendra fort dans votre mission de prolonger la révélation de Dieu faite par Jésus, premier missionnaire du Père.

Certes, la manière de comprendre et d'être missionnaire aujourd'hui a beaucoup changé, avant tout parce que désormais le monde entier est devenu terre de mission – aussi bien l'Europe que l'Amérique, l'Afrique, l'Asie et l'Océanie – , et aussi parce qu'aujourd'hui nous avons affaire à toute une série de nouveaux contextes où se vit la vie humaine et se développe la mission de l'Église.

Le contexte économique, aujourd'hui mis à l'épreuve d'une crise sans précédent, est la cause de migrations, de tensions et de formes de violence, d’un clivage renouvelé et encore plus marqué entre riches et pauvres. Le cadre politique mondial est mis à l'épreuve par la présence de nouveaux acteurs, comme le monde islamique, et par la force émergente des grands États de l'Asie. La recherche scientifique et technologique, bénéfique par bien des aspects, semble ne pas connaître de limites ni de références morales. Elle se nourrit parfois de prétentions illégitimes, oubliant de dialoguer sur des valeurs importantes qui se trouvent à la base de l'éthique humaine. Elle se présente même presque comme une sorte de nouvelle religion. Nous affrontons enfin le défi du monde de la communication sociale. D'une part, elle offre un accès plus grand à l’information, de plus grandes possibilités de connaissance, d'échanges, de formes nouvelles de solidarité, de capacité à promouvoir une culture toujours plus aux dimensions mondiales et, d'autre part, elle valorise une grande attention aux seuls besoins individuels, on assiste à l'affaiblissement et à la perte de la valeur objective de l'expérience profondément humaine, on réduit l'éthique et la politique à être objets de spéculation, autant de risques qui favorisent la culture de l'éphémère, de l'immédiat, de l'apparence, sans mémoire ni futur.[1]

Chers frères et sœurs, je ne voudrais pas vous donner une image négative du monde actuel. Nous devons considérer que tous ces défis sont aussi des opportunités, et c'est ainsi que l'Église a voulu les affronter. En effet, elle tâche d’y répondre avec une « nouvelle évangélisation » qui s’efforce d'apporter une réponse positive aux grands besoins de l’humanité. Elle veut vraiment transmettre une bonne nouvelle qui remplisse la vie des hommes de lumière, de sens et d'espérance. D'où la nécessité d'être de grands croyants, joyeux et convaincus, capables de transmettre la foi, assurés que c'est seulement dans le Christ que l'homme peut rejoindre la plénitude de la vie, la fécondité durable et le bonheur auquel il aspire.

C’est pour cela que la transmission de la foi en actes et en paroles ne peut jamais s'imposer mais doit se réaliser dans un grand climat de liberté et à travers des propositions, un climat qui fait place au dialogue interreligieux entre les hommes et les femmes de toutes les croyances, à l'œcuménisme entre les chrétiens des différentes confessions, à l'inculturation là où nous sommes envoyés pour travailler.

Dans ce sillage, la Parole de Dieu qui vient de nous être proclamée nous invite à avoir un esprit ouvert et accueillant, qui accueille tous ceux qui aiment la vérité, même s’ils militent en dehors du troupeau du Christ : « Celui qui n'est pas contre nous est pour nous ».

De fait, si la foi n'est pas bien comprise, elle risque de devenir un élément de « discrimination » entre les hommes et de créer des oppositions entre eux. Jésus, au contraire, enseigne à surmonter les barrières et à accueillir tous les « germes de vérité, de beauté et de bonté » répandus dans le monde : chaque « vérité, même partielle, est toujours un début de foi, ou une prédisposition à la foi »! Celui qui annonce l'Évangile surtout doit savoir découvrir les points de contact avec les autres pour y brancher, presque naturellement dirais-je, le message du salut. C'est seulement à ce prix que la foi ne deviendra jamais « polémique » et marginalisante, mais seulement et essentiellement rassembleuse, « empreinte de charité » et, partant, toujours ouverte au dialogue interculturel et interreligieux.

Ces réflexions forment l'arrière-fond de la première lecture. À l'invitation de Dieu lui-même, Moïse s'était choisi soixante-dix hommes, parmi les « anciens » d'Israël, afin qu'ils puissent l’aider à diriger le peuple. Mais pour ce faire, ils ont besoin de l’« esprit » que Dieu avait abondamment accordé à Moïse. Au jour prévu, ils se rassemblèrent autour de la « tente de la rencontre » et reçurent « l'esprit » de prophétie.

C’est dans ce contexte que se déroule l'épisode rapporté dans la première lecture : deux « anciens », Eldad et Médad, qui n'avaient pas été choisis pour faire partie des 70 et ne s'étaient donc pas rendus à la tente de l'Alliance, furent eux aussi saisis par l'Esprit de manière imprévue et « se mirent à prophétiser dans le camp ». D'où l'étonnement des gens : tant et si bien qu'un « jeune » un peu trop zélé, Josué, fils de Nun, courut vite rapporter la chose à Moïse. « Mais Moïse lui dit : "Serais-tu jaloux pour moi ? Ah ! Si le Seigneur pouvait mettre son esprit sur eux, pour faire de tout son peuple un peuple de prophètes !" ».

La réponse de Moïse à la requête trop zélée du jeune Josué est merveilleuse : il ne faut pas emprisonner l’« Esprit », en pensant presque pouvoir le dominer et lui faire emprunter  seulement certaines voies, même celles qui nous sembleraient les plus sûres !

La tentative d'« emprisonner » l'« esprit » comporte en soi un double péché : le premier, contre Dieu sur qui on voudrait arriver à avoir une espèce de contrôle, lui qui est le suprêmement « libre »! Le second, contre les frères dont nous voudrions mesurer la capacité de réponse aux initiatives de Dieu, selon les règles fixées par nous, presque comme si nous étions les « dominateurs » et non pas plutôt les « serviteurs » des autres. Cela ne serait-il pas une richesse commune si tous, en Israël et dans l'Église, étaient « prophètes », tout à fait comme le souhaitait Moïse ?

On ne peut pas nier que plus d'une fois, dans la longue histoire de l'Église, on n'ait pas essayé d'étouffer l'« Esprit » quand il bouleversait les schémas de pensée préconçus ou mettait en crise une certaine manière de comprendre et de gérer l’« institution », et qui n'a certainement pas le « monopole » de la vérité et encore moins de la sainteté.

Le Concile Vatican II a redécouvert la fondamentale vocation prophétique de « tout » le peuple chrétien sur la base de la foi unique et du baptême unique : « Le peuple saint de Dieu participe aussi de la fonction prophétique du Christ ; il répand son vivant témoignage avant tout par une vie de foi et de charité, il offre à Dieu un sacrifice de louange, le fruit de lèvres qui célèbrent son Nom » (LG n°12).

La première partie de l'Évangile d’aujourd'hui nous présente une scène qui ressemble beaucoup à l'épisode du Livre des Nombres que nous venons de rappeler, avec cette différence qu’au lieu de prophétie, il s'agit ici d’actes d'« exorcisme » accomplis « au nom » de Jésus par quelqu'un qui n'était pas son disciple.

Ici également, c'est un jeune, un peu trop zélé, qui dénonce immédiatement à Jésus quelque chose qui lui semble inadmissible : « Maître, nous avons vu quelqu'un chasser des esprits mauvais en ton nom ; nous avons voulu l'en empêcher, car il n'est pas de ceux qui nous suivent ». Ce jeune homme, c'était Jean.

Remarquez les affirmations discriminatoires du jeune apôtre : « Nous avons voulu l'en empêcher, car il n'est pas de ceux qui nous suivent », comme si Jésus était un objet à posséder jalousement au lieu d'un « don » à partager avec le plus grand nombre possible de personnes !

La réponse apaisante du Maître est intéressante : « Ne l'empêchez pas, car celui qui fait un miracle en mon nom ne peut pas, aussitôt après, mal parler de moi ; celui qui n'est pas contre nous est pour nous ». À première vue, il semble que la réponse de Jésus soit opportuniste, c'est-à-dire propre à lui procurer un halo de sympathie : en effet, « celui qui fait un miracle en mon nom ne peut pas, aussitôt après, mal parler de moi » ; voilà une chose impossible. En réalité, sa réponse va beaucoup plus loin : il veut éduquer les apôtres à ne pas se considérer « possesseurs » de la vérité, mais « en recherche » avec les autres. C'est ainsi que l'on devient automatiquement « ouvert » à tous ceux qui ont en commun quelque chose avec nous : au moins le fait d'être des êtres humains et même, s'ils croient au Christ, un grand nombre d’éléments de vérité de foi.

Avec son affirmation déroutante « celui qui n'est pas contre nous est pour nous », Jésus a jeté par avance les bases du « dialogue » interreligieux entre les hommes et de l’« œcuménisme » entre les chrétiens, que l'Église a récupérés en toute lucidité, ces derniers temps.

C'est seulement en apparence que cette affirmation contraste avec une autre phrase très connue de Jésus : «Celui qui n'est pas avec moi est contre moi ; celui qui ne rassemble pas avec moi disperse » (Mt 12,30). En réalité, Jésus se pose ici comme l'Absolu pour tous : celui qui le connaît pour ce qu'il est ne peut pas ne pas rester avec Lui, autrement il disperserait et se perdrait ! Cependant cela ne supprime pas le fait qu'il y a des éléments de vérité, de beauté et de bonté même ailleurs, qui sont un signe de sa présence dans le monde : voilà précisément la voie qui peut mener lentement à Lui. C'est pourquoi il ne faut absolument pas effacer une quelconque piste dans le désert, si petite soit-elle : pour Jésus, c'est suffisant pour atteindre mystérieusement le cœur des hommes.

Cela vaut évidemment aussi bien pour l'Église en tant que telle que pour chaque chrétien individuellement, mais particulièrement pour vous, chers missionnaires : l'« Esprit » du Christ agit bien au-delà des limites de l'Église, voire de la foi elle-même. Précisément parce que le Christ est la « Vérité » totale, il est présent partout où il y a un fragment de vérité : ainsi, oserais-je dire, Jésus est plus grand que son Évangile lui-même, annoncé et proclamé.

Il ne faut pas être jaloux, comme Jean ou Josué, parce que d’autres ont l'« Esprit » du Seigneur, ou invoquent ou respectent son « nom » : il faut seulement s'en réjouir et en remercier le Père céleste ! Le christianisme n'est pas un étiquetage mais une manière de vivre, que l'on rencontre parfois mystérieusement même chez un non chrétien ! Par-dessus tout, devoir faire confiance à la bienveillance d'autrui exige de l'humilité et de la discrétion : ainsi, au départ déjà, l'apôtre du Christ reconnaît n'avoir aucun pouvoir sur les autres mais seulement un « service » à offrir.

Voilà, bien chers missionnaires, les critères et les attitudes à cultiver pour que votre mission soit féconde. Que l'Esprit que vous avez reçu au baptême vous guide et vous assiste toujours ! Que Notre-Dame Auxiliatrice, dans la maison de qui nous nous trouvons pour cette célébration, soit votre mère et votre guide ! Que Don Bosco soit votre modèle et votre source d’inspiration dans sa prédilection pour « les pauvres et les jeunes ». De notre côté, nous vous accompagnons toujours de notre affection et de notre prière. Allez par le monde entier et annoncez la Bonne Nouvelle : Jésus est le Christ, le Fils de Dieu.

Pascual Chávez V.


[1] Cf. La nouvelle évangélisation pour la transmission de la foi. Instrumentum Laboris. Cité du Vatican, 2012, N° 51-52.