« Celui qui demeure en moi et en qui je demeure,
celui-là porte beaucoup de fruit,
car, en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire.
Ce qui fait la gloire de mon Père,
c’est que vous portiez beaucoup de fruit
et que vous soyez pour moi des disciples. »
(Jn 15, 5.8)
Chers Confrères,
Avec mon intervention et les salutations finales que nous échangerons les uns avec les autres, nous concluons notre 27ème Chapitre Général, un vrai moment de Grâce et de Présence de l'Esprit.
Je pense que nous avons réalisé ce que disent nos Constitutions. Cela a été un moment particulièrement important, un « signe principal de l'unité de la Congrégation dans sa diversité » (C 146), où, dans une rencontre vraiment fraternelle, nous nous sommes livrés « à une réflexion commune en vue de [nous] maintenir fidèles à l’Évangile et au charisme de [notre] Fondateur, et sensibles aux besoins des temps et des lieux. » (cf. C 146)
Dans ces simples pages que j’adresse aux Confrères Capitulaires et à tous les Confrères de la Congrégation, je voudrais présenter quelques points qui me paraissent les plus importants et qui peuvent accompagner la réflexion et l'assimilation de ce qui est central: ce que le Chapitre Général offre à toute la Congrégation comme fruit de son travail, de sa réflexion et de la vie partagée durant son déroulement.
Les sept semaines que nous avons vécues en Chapitre Général se sont distinguées par les différents moments qui leur ont donné un caractère particulier et nous ont aidés à faire un chemin plus approfondi :
Pour beaucoup d’entre nous, nous ne venions pas à notre « lieu de naissance » pour la première fois, y étant déjà venus dans le passé, mais cette occasion avait un poids singulier : c’était l’hic et nunc [le lieu et le temps] du Chapitre Général. D’autres confrères visitaient pour la première fois « Les Becchi » et « nos lieux saints » comme expérience spirituelle et charismatique à revivre, comme espace et occasion pour être davantage unis et « conquis » par la fascination que Don Bosco exerce sur tous et, très spécialement, sur nous autres, ses fils. Pour tous, sans aucun doute, ce furent des jours qui ont touché profondément notre cœur car Les Becchi et le Valdocco ne laissent jamais indifférents ceux qui ont un cœur salésien.
Le rapport nous a vraiment permis de mettre au point avec une plus grande précision les approches ultérieures du thème qui nous attendait comme noyau du CG 27.
Plusieurs fois, nous avons manifesté, ces jours-là et dans les semaines suivantes, la conviction que nous étions en train de vivre de nombreux moments en clé de Foi, d’Espérance et de présence de l’Esprit. En ce sens, nous avons vécu les Exercices Spirituels centrés sur l’interprétation de ce que nous disait la Parole de Dieu, dans un silence authentique, de nombreux temps de prière personnels et communautaires, des célébrations eucharistiques bien soignées et une célébration de la Réconciliation où nous nous sommes sentis joyeusement impliqués. Et tout cela – encadré par la réflexion qui nous invitait, à partir de l’Évangile, à l’authenticité – nous a préparés à ce que nous allions ensuite vivre et sur quoi nous allions travailler les jours suivants.
J’ai la sensation qu’en nous, au niveau personnel et communautaire, se soit réalisé un vécu spirituel et un vécu de foi qui exprimait le meilleur de nous-mêmes. Lorsqu’on expérimente l’abandon à l’amour de Dieu, amour qui guérit toujours de lui-même les blessures, l’Esprit fait en sorte que chaque personne se dispose à donner le meilleur d’elle-même qu’elle porte en soi. Et je pense que voilà l’attitude vitale avec laquelle nous avons commencé les travaux capitulaires proprement dits.
J’ai cru voir entre les lignes de ces premiers moments une espèce de nostalgie : pouvoir regarder la réalité de chaque communauté, de chaque présence salésienne, de chaque Province et de toute la Congrégation, vraiment comme un corps vivant et authentique, et donc un corps qui éprouve de la peine quand l’un ou l’autre n’arrive pas à être à la hauteur voulue, ou quand font défaut les comportements adéquats à ceux qui aiment vraiment les jeunes et prennent souci de leur vie, qui donnent la Vie et offrent leur propre vie. On percevait le désir de voler plus haut avec véracité, authenticité, radicalité, et l’on sentait que parfois on ne réussit même pas à se soulever de terre.
Le Recteur Majeur, P. Pascual Chávez, nous a invités à avoir une perspective, avec un réalisme plein d’espérance et avec courage quand il s’agit d’affronter des défis comme Congrégation. Par la suite, les réflexions, les dialogues et les interventions en salle se sont déroulés en majeure partie en syntonie avec ce climat.
J’ajoute même autre chose. Le fruit de notre Chapitre ne peut pas consister seulement dans la recherche de la nouveauté. La force de ce CG 27 passe en premier lieu à travers la conversion personnelle et la transformation de l’esprit et de la mentalité de tous les participants. Elle passe à travers notre capacité d’enthousiasmer nos confrères et de leur communiquer la « Bonne Nouvelle » de ce que nous avons vu et entendu, de ce que nous avons rêvé et partagé, de l’esprit fraternel que nous avons vécu durant ces semaines. Et tout cela en espérant être capables de générer la vie et de susciter le désir d’affronter dans nos Provinces, avec un vrai courage, ces temps nouveaux de notre Congrégation et de notre vie : des temps nouveaux d’évangélisation et de passion pour les jeunes.
La semaine a donc été marquée par une profonde expérience de recherche, dans la vérité qui vient de l’Esprit, et aussi par de sincères remerciements à ceux qui acceptaient leur nouvelle responsabilité, et encore plus envers les Confrères qui terminaient leurs six ans, ou plus, de service, à commencer par le Recteur Majeur, le P. Pascual Chávez, son Vicaire, le P. Adriano Bregolin, et les autres membres du Conseil Général. Ils ont donné le meilleur d’eux-mêmes durant ces dernières années, avec un dévouement inlassable pour le bien de la Congrégation et de la Mission. Des applaudissements nourris – comme au dernier mot du soir du Recteur Majeur, le P. Pascual Chavez – ont clairement exprimé ces chaleureux remerciements.
De plus, nous avons emporté avec nous un message du Pape François qui ne peut se réduire pour nous à une simple anecdote. Au contraire, il n’en sera pas ainsi puisque ce message fait partie de nos conclusions capitulaires, de mon discours final ainsi que de la programmation et des décisions qui reviennent au Recteur Majeur avec son Conseil, et aux Capitulaires dans leurs Provinces, lorsqu’ils y retourneront.
Le Pape a souligné différentes choses très importantes : j’en énumère simplement quelques-unes ici ; d’autres seront développées dans les pages suivantes :
« Par la profession religieuse, nous nous offrons nous-mêmes à Dieu pour marcher à la suite du Christ et travailler avec Lui à la construction du Royaume. » (C 3). Dans notre document capitulaire, nous reconnaissons que, dans la mesure où l’époque où nous vivons ne facilite pas une ouverture à la transcendance, nous désirons, au plan personnel et au plan communautaire, donner le primat à Dieu dans notre vie, stimulés par la sainteté salésienne et par la soif d’authenticité des jeunes. Voilà à quoi nous invitait le Pape lorsqu’au début de son mot d’accueil, il nous disait : «Quand on pense à travailler pour le bien des âmes, on surmonte la tentation de la mondanité spirituelle, on ne cherche pas autre chose mais seulement Dieu et son Royaume. » Cela a été la grande certitude et la passion de Don Bosco qui s’est vu totalement impliqué dans la « Trame de Dieu » ; s’abandonnant à Dieu, il fonçait même jusqu’à la témérité.
C’est dans cette dimension transcendante, dans ce fait de nous assurer que toute notre vie se trouve dans la trame de Dieu et qu’Il a le primat dans nos vies, c’est dans cette assurance que nous trouvons notre force quand elle devient réalité ; et c’est aussi le lieu où nous découvrons notre fragilité.
Nous sommes appelés à ramener notre cœur, notre esprit et toutes nos énergies au « commencement » et aux «origines », à notre premier amour, celui avec lequel nous avons expérimenté la joie de nous sentir regardés par le Seigneur Jésus et qui nous a fait répondre « oui ». Le primat de Dieu, nous voulons le vivre dans la contemplation quotidienne de la vie ordinaire, à la suite du Christ.
Comme suggéré précédemment, c’est ici que doit advenir notre plus grande conversion. Nous rencontrons sûrement beaucoup de confrères exemplaires de ce point de vue ; mais si plusieurs Recteurs Majeurs (pour ne parler que des derniers : les PP. Viganò, Vecchi et Pascual Chávez) nous ont avertis de cette fragilité, cela signifie qu’il s’agit de quelque chose que nous devons considérer avec un grand sérieux. Le CG 27 nous invite à inverser cette tendance. Il serait vraiment inquiétant que quelqu’un en arrive à penser que « la fragilité que nous constatons en vivant le primat de Dieu dans notre vie » soit un élément propre de notre ADN salésien. Il n’en est pas ainsi ! Cela n’a pas été le cas chez Don Bosco qui, au contraire, a vécu radicalement impliqué dans la trame de Dieu. Donc pour nous c’est – ni plus ni moins ! – le point central de notre conversion, celui qui nous portera à une plus grande radicalité pour le Royaume.
« La mission apostolique, la communauté fraternelle et la pratique des conseils évangéliques sont les éléments inséparables de notre vie consacrée » (C 3).
En divers moments de l’Assemblée Capitulaire, nous avons manifesté notre conviction que la fraternité vécue comme communauté est une des manières de faire l’expérience de Dieu, de vivre la mystique de la fraternité, dans un monde où parfois les rapports humains sont détruits. « La force humanisante de l’Évangile est témoignée par la fraternité vécue en communauté, faite d’accueil, de respect, d’aide réciproque, de compréhension, de courtoisie, de pardon et de joie », nous a dit le Pape François.
Voilà une autre clé avec laquelle lire non seulement le document capitulaire mais surtout notre vie et la révision que nous en faisons et que nous voulons continuer à faire. Les jeunes ont besoin que nous soyons vraiment des frères. Des frères qui, avec la simplicité et l’esprit de famille typiques de Don Bosco, vivent une fraternité authentique qui, tout en n’étant pas exempte des difficultés quotidiennes, grandit et se purifie dans la foi pour arriver à être ainsi « contre-culturelle » et attrayante, comme le propose l’Évangile.
Dans la prophétie d’une vraie fraternité vécue dans la simplicité quotidienne, nous avons une grande occasion de renouvellement et de croissance.
Cela supposera, plus souvent qu’on ne pense, un changement de mentalité. Avec une certaine fréquence, sous toutes les latitudes où œuvre notre Congrégation, nous courons un certain danger de sacrifier la communauté, la fraternité et parfois même la communion, au travail, à l’activité ou simplement à l’activisme. C’est pourquoi nos Constitutions, avec une pédagogie préventive, affirme que les trois éléments de la consécration sont inséparables. Quand l’un de ces éléments est faible ou inconsistant, nous ne pouvons pas parler de consécration dans le charisme de Don Bosco ; ce sera peut-être une autre réalité mais elle ne sera pas salésienne.
« Le travail et la tempérance feront fleurir la congrégation » (C 18). Un binôme que nous connaissons bien et que le P. Viganò, dans ses réflexions sur la Grâce d’Unité, définissait comme « inséparable ». « Les deux armes avec lesquelles nous réussirons à vaincre tout et tout le monde, a écrit Don Bosco » (cité en ACG 413, p. 43). Le Pape s’est également référé à ce binôme durant l’audience, en nous encourageant à cet engagement : « La tempérance est le sens de la mesure ; elle permet de se contenter de ce que l’on a, d’être simple. Que la pauvreté de Don Bosco et de Maman Marguerite inspire à chaque Salésien et à chacune de vos communautés une vie essentielle et austère, la proximité avec les pauvres, la transparence et la responsabilité dans la gestion des biens. »
Dans la réflexion capitulaire, nous avons donné différentes indications à ce sujet. L’enseignement que nous a laissé le P. Pascual Chávez sur ce binôme apparaît très clairement dans la Convocation pour le CG 27 ; et nous pouvons également le lire chez le P. Vecchi et le P. Viganò. Nous ne manquons pas d’éclairage à ce sujet. Je crois que le défi passe à travers la vie et même s’il est vrai que dans de très nombreuses parties de la Congrégation, nous avons des présences qui donnent la priorité aux derniers, aux plus pauvres, aux exclus, il est également certain que la splendeur de ce témoignage est total si notre mode de vie est caractérisé par la sobriété, l’austérité ainsi que par la pauvreté. Indubitablement, la confrontation avec cette réalité que nous avons professée passe par la conscience personnelle de chacun, mais nous devons nous aider communautairement durant ce sexennat. Nous sommes invités à faire en sorte que le témoignage de pauvreté et de sobriété soit plus évident là où il ne l’est pas. Quels que soient le mouvement, le développement, le tournant que l’on donnera en ce sens dans les différentes Provinces, ce sera un signe d’authenticité et de concret de la radicalité évangélique que nous nous proposons.
« Notre vocation est marquée par un don spécial de Dieu, la prédilection pour les jeunes: " Il suffit que vous soyez jeunes, pour que je vous aime beaucoup ". Cet amour, expression de la charité pastorale, donne son sens à toute notre vie. » (C 14)
Avec Don Bosco, nous suivons le Seigneur Jésus qui a placé au centre un enfant lorsqu’on lui a demandé qui était le plus grand dans le Royaume. Nous, Salésiens de Don Bosco, engendrés comme lui aux Becchi et nés au Valdocco, nous avons offert notre vie au Père pour être consacrés par Lui afin de vivre pour les jeunes. Comme nous l’avons dit dans le document capitulaire, les jeunes sont « notre buisson ardent » (cf. Ex 3,2ss). À travers eux, Dieu nous parle et nous attend en eux. Ils sont la raison qui nous a rendus capables de répondre oui à l’appel du Seigneur ; ils sont notre raison d’être. En tant que Salésiens-Éducateurs-Pasteurs des jeunes, comment pourrions-nous rester à mi-chemin ? Comment pourrions-nous nous consacrer à eux seulement à temps partiel, comme s’il s’agissait d’un jour ouvrable ? Mieux, comment pourrions-nous rester tranquilles quand dans notre quartier, notre région, notre ville, il y a des jeunes frappés par la pauvreté, la solitude, la violence familiale, l’agressivité qui les domine … ? Nous sommes appelés à leur prêter la voix qui leur fait défaut dans ces circonstances de la vie, appelés que nous sommes à leur offrir notre amitié, notre aide, notre accueil, notre présence d’adultes qui leur veut du bien, et qui ne recherche que leur bonheur « maintenant et dans l’éternité ». Être les amis, les frères, les éducateurs et les pères qui veulent seulement que les jeunes soient acteurs et maîtres de leur propre vie… Et à ce point de vue, il est seulement possible d’être serviteurs et jamais patrons, « autorité »…
On comprendra facilement que dans une intervention comme celle-ci, je ne puisse prétendre suggérer toutes les options que nous pourrions mettre en application après le Chapitre. Tout ce que nous y avons vécu, les réflexions que nous avons partagées en profondeur et l’étude que nous avons faite de l’état de la Congrégation nous permettent d’entrevoir quelques cheminements que je considère inaliénables et prioritaires. Les Provinces feront certainement quelques autres options adaptées à leur contexte particulier, toujours dans le cadre du CG 27.
Je dresse seulement une liste des options qui me semblent prioritaires et universelles. Ensuite, le Conseil Général, dans sa programmation habituelle, et les Provinces dans leur propre programmation, pourront tracer l’itinéraire adéquat à suivre dans l’ensemble du monde salésien.
Dans les premières interventions en salle, ainsi que dans les réunions de Commission, s’est fait jour la préoccupation d’arriver à un document final qui ne soit pas destiné à « être parqué » dans une bibliothèque, sans incidence sur le renouvellement. Pour conjurer cette crainte, je pense que le premier pas doit être l’engagement de nous tous à penser les manières et la méthode spirituelle – quelque chose de différent des simples stratégies – qui puissent favoriser la connaissance de ce que le CG 27 offre à toute la Congrégation. Je vous invite ensuite à chercher la manière appropriée d’arriver à l’assimilation personnelle et communautaire du document, et même à la conversion (si l’Esprit nous l’accorde). Seule cette assimilation et cette conversion seront génératrices de vie nouvelle.
Je crois que ce serait une erreur de penser qu’en permettant la connaissance du CG 27 aux confrères au cours d’une récollection ou d’une rencontre de fin de semaine, l’objectif serait atteint. C’est pour cela que je propose que nous consacrions au moins ces trois premières années à lire ce document, y réfléchir, le méditer et en faire l’objet de nos programmations locales et provinciales, et des différents plans d’animation et de gouvernement des Provinces ; de le vérifier ensuite lors du prochain Chapitre Provincial (dit « Chapitre Provincial Intermédiaire ») et voir les fruits qu’il est en train de produire.
Ainsi que je l’ai dit précédemment, je crois que nous devons reconnaître que dans la Congrégation, en général, la profondeur de la vie intérieure n’est pas notre point fort. Je me refuse, vous disais-je, d’admettre qu’il s’agit d’un élément appartenant à notre ADN salésien car Don Bosco n’a pas été ainsi et encore moins ne l’a-t-il pas voulu ainsi. En reconnaissant cette faiblesse (abondamment exprimée par les Recteurs Majeurs précédents, ainsi que par certains Chapitres Généraux) et avec l’aide de l’Esprit, nous devons trouver la force d’inverser cette tendance. On réclame une authentique conversion à la radicalité évangélique, qui touche l’esprit et le cœur. Quand le Pape Jean-Paul II, en parlant de la Vie Consacrée, nous demande que la vie spirituelle soit « à la première place », il ne nous invite pas à un spiritualisme étrange mais plutôt à cette profondeur de vie qui nous rend en même temps fraternels et généreux dans le don de nous-mêmes aux autres, à la mission – et en particulier aux plus pauvres -rendant ainsi vraiment attractif notre choix de vie.
Cette profondeur de vie, cette authenticité, cette radicalité évangélique, ce chemin de sanctification « constitue le don le plus précieux que nous puissions offrir aux jeunes. » (C 25) C’est un fait que Don Bosco ne s’explique pas, dans sa prédilection radicale pour les jeunes, sans Jésus-Christ. « Dans la suite du Christ se trouve la fontaine, la source de son originalité et de sa vitalité. C’est un don initial d’En-haut, le premier "charisme" de Don Bosco » (E. Viganò, ACG 290, p. 16).
C’est pour cela que j’ose suggérer que chaque communauté puisse « se dire à elle-même », d’une manière concrète et comme fruit du CG 27, ce qu’elle pense et ce qu’elle propose afin que l’on puisse remarquer qu’elle « met Dieu à la première place », dans son être de communauté salésienne convoquée par le Seigneur, qui non seulement se réunit mais vit en Son nom.
« C’est pourquoi nous nous réunissons en communautés, où nous nous aimons au point de tout partager en esprit de famille, et où nous construisons la communion des personnes. » (C 49)
Pour nous, Salésiens, la vie communautaire, la « communion de la vie en commun », n’est pas seulement une affaire de circonstance, une manière de s’organiser, un moyen pour être plus efficaces dans l’action. Pour nous, l’authentique fraternité qui se vit dans la communion des personnes est essentielle, constitutive ; c’est l’un des trois éléments inséparables dont parle l’article 3, déjà cité, de nos Constitutions.
Et à cause de la force du témoignage que possède la fraternité évangélique, je vous invite tous à prendre vraiment conscience que nous devons prendre soin de nous-mêmes, pour nous bien porter et être vocationnellement en forme. Et nous devons prendre soin de nos confrères en communauté avec une attitude vraie « d’accueil, de respect, d’aide réciproque, de compréhension, de courtoisie, de pardon et de joie » (cf. audience avec le Pape). Vivre un véritable amour fraternel qui, en définitive, accepte et intègre la différence et combat la solitude et l’isolement ; pour cela, nous devons prendre soin de nos communautés dans les Provinces.
Je l’ai fait comprendre dans les pages précédentes. Souvent nous sacrifions au travail la vie communautaire ainsi que les espaces et les moments communautaires. À la fin, cette réalité nous fait payer un prix trop élevé, terriblement douloureux. Je demande donc à chaque Province de faire une réelle étude et un réel effort pratique pour prendre soin de nos communautés, les consolider, en garantir la solidité en qualité et en nombre de confrères, même s’il faut enlever la communauté religieuse de certaines présences, et progresser dans de nouvelles manières d’être "signe", en « redessinant » les maisons et les Provinces, comme on se le demande, ces dernières années, dans différentes Visites d’Ensemble dans les Régions. Certes, nous devons vaincre de grandes résistances qui naissent des attachements, des années vécues dans une maison, de la pression de la Communauté Éducative elle-même, du quartier ou des Associations civiles, et jusqu’à certains Gouvernements locaux et régionaux… Mais les difficultés prévisibles ne peuvent empêcher ni notre lucidité ni notre capacité d’agir avec une prudente liberté.
Au CG 26, nous lisons que revenir aux jeunes signifie « être sur la cour de récréation » et nous savons qu’être sur la cour, cela va au-delà de l’espace physique. Cela signifie être avec les jeunes et parmi eux, les rencontrer dans notre et leur vie quotidienne, connaître leur monde, faire en sorte qu’ils soient protagonistes, les accompagner en réveillant leur sens de Dieu et en les encourageant à vivre leur existence comme l’a vécue le Seigneur Jésus.
Lorsque nous contemplons Don Bosco, d’après ce que nous racontent ceux qui l’ont étudié de plus près et selon la fascination qu’il provoque lui-même, nous demeurons frappés par la force de sa passion vocationnelle pour les jeunes. Le P. Ricceri, dans une de ses lettres, écrit un passage qui me semble précieux, quand il dit : « La prédilection pastorale pour les enfants et les jeunes se manifestait chez Don Bosco comme une espèce de "passion" ou, mieux, comme sa "super vocation" à laquelle il se consacra en surmontant tous les obstacles et en abandonnant tout ce qui, même bon, en empêchait de quelque façon la réalisation. » (ACG 284, 1976, p. 31).
Et la prédilection pour les jeunes arrive à être la plus grande option de fond de sa vie, et c’est la mission de la Congrégation. Nous pourrions trouver beaucoup de choses déjà écrites et pensées sur cette réalité de Don Bosco ainsi que tout ce qui a été dit dans nos Chapitres Généraux. Le dernier d’entre eux, le CG 26, indique différentes lignes d’action pour ce « revenez aux jeunes ».
De ce « retour aux jeunes », nous n’avons pas parlé en tant qu’Assemblée Capitulaire ; je ne saurais donc dire dans quelle mesure cela est devenu une réalité au cours du dernier sexennat ; mais il s’agit de quelque chose qui sera toujours d’actualité. J’ose donc demander à chaque Province et aux communautés locales que, en réponse au plan d’animation et de gouvernement de chaque Province, là où un confrère a la force et la passion éducative et évangélisatrice, une vocation authentique à vivre pour les jeunes et au milieu d’eux, quel que soit son âge, l’on fasse tout ce qui est possible pour le libérer de toutes autres tâches et lui permettre ainsi de faire ce que nous devrions savoir faire le mieux par vocation : être des éducateurs-pasteurs des jeunes. Je vous invite à concrétiser et à traduire en décision de gouvernement ce que nous connaissons bien comme fruit d’un patrimoine-héritage salésien.
Le P. Vecchi écrit dans une de ses lettres : « Les jeunes pauvres ont été et sont encore un don pour les Salésiens. Revenir à eux nous fera retrouver la caractéristique centrale de notre spiritualité et de notre pratiquepédagogique : la relation d’amitié qui crée la correspondance et le désir de grandir » (ACG 359, p. 24). Évidemment, personne ne peut dire que le P. Vecchi défend la pauvreté ; il prend acte que, malheureusement, la pauvreté existe et qu’il y a des jeunes pauvres ; si nous sommes avec eux et au milieu d’eux, ce sont eux, les premiers, qui nous font du bien, qui nous évangélisent et nous aident à vivre vraiment l’Évangile avec le charisme de Don Bosco. J’ose dire que ce sont les jeunes pauvres qui nous sauveront.
Notre être Serviteurs des jeunes passe – comme nous l’avons dit dans notre Chapitre Général – à travers l’abandon de nos sécurités, non seulement de vie mais aussi d’action pastorale, pour cheminer vers une pastorale « en montée » qui part des besoins profonds des jeunes et spécialement des plus pauvres.« En travaillant avec les jeunes, vous rencontrez le monde de l’exclusion des jeunes. Et c’est terrible ! » (Audience avec le Pape).
C’est pourquoi j’ose demander qu’avec le « courage, la maturité et une vie de prière intense », avec lesquels on nous envoie vers les jeunes les plus exclus, nous reconsidérions dans chaque Province les lieux où nous devons rester, où nous devons aller et d’où nous pouvons nous en aller… Avec leur clameur et leurs cris de douleur, les jeunes les plus défavorisés nous interpellent. À leur manière, ils nous appellent. Cela demande des espaces de réflexion dans chaque Province pendant la durée de ce sexennat afin que, à la lumière du CG 27 et de notre choix d’être Serviteurs des jeunes… vers les périphéries, nous arrivions à des décisions de gouvernement provincial, toujours en dialogue avec les Confrères afin qu’ils mettent en pratique ce que je demande, avec courage, maturité et un profond regard de Foi. N’ayons pas peur d’être prophètes en ce domaine.
L’article 6 de nos Constitutions contient en substance toute la richesse de la mission qui nous a été confiée à travers notre charisme : « (…) Fidèles aux tâches que Don Bosco nous a transmises, nous sommes évangélisateurs des jeunes, spécialement des plus pauvres; nous prenons un soin particulier des vocations apostoliques; nous sommes des éducateurs de la foi dans les milieux populaires, surtout par le moyen de la communication sociale; nous annonçons l’Évangile aux peuples qui ne le connaissent pas. » C’est – et cela continuera à être – notre grand défi car même dans les cas les plus réussis, nous pouvons toujours faire plus, on ne fera jamais assez et nous devrons constater assez fréquemment que nous nous sommes arrêtés à mi-chemin.
Don Bosco est notre grand modèle dans ce « savoir-faire » avec un cœur salésien dans l’éducation et l’évangélisation des jeunes. Ses jeunes étaient convaincus que Don Bosco les aimait et voulait leur bien, en cette vie comme dans l’éternité. Pour cela, ils acceptaient sa proposition de connaître le Seigneur et d’être ses amis. Comme éducateurs, nous devons savoir être avec le jeune et l’accompagner dans sa réalité et sa situation concrète, dans son processus personnel de maturation. Comme évangélisateurs, notre objectif est d’accompagner les jeunes pour qu’ils puissent rencontrer librement le Seigneur Jésus.
Pour cela, chers Confrères, même dans la brièveté de ces lignes, je ne peux pas négliger de souligner ce point comme essentiel : nous sommes des évangélisateurs des jeunes et, comme Congrégation, comme Communautés provinciales et locales concrètes, nous devons vivre et grandir dans une véritable prédilection pastorale pour les jeunes. Il sera très difficile d’y parvenir si nous n’accordons pas la priorité et l’urgence à l’annonce du Seigneur Jésus aux jeunes, et si, en même temps, nous ne sommes pas capables de les accompagner dans leur vie concrète. Ce devrait être un point fort pour nous : accompagner chaque jeune dans la situation qui est la sienne, mais c’est souvent une tâche que nous laissons à d’autres ou que nous disons ne pas savoir accomplir. Dans cet accompagnement, il est d’une vitale importance d’implanter la culture vocationnelle dont on nous a tant parlé. Nous n’avons pas encore réussi. D’habitude, elle nous fait peur ou nous la disqualifions avec l’« autojustification » selon laquelle nous ne croyons pas devoir utiliser de « canne à pêche ». Si nous le pensons vraiment et « vendons ce discours », nous tuons quelque chose qui est bien à nous, de notre charisme : la capacité d’accompagner chaque adolescent, chaque jeune dans sa recherche personnelle, dans ses défis, dans ses questions sur la vie, dans ses choix de vie. Ce qui est fascinant dans notre vocation salésienne, nous le laissons de côté ou en d’autres mains… ou à personne. C’est pour cela que je souhaite demander à chaque Province de destiner les confrères les plus capables pour la pastorale vocationnelle des jeunes, avec de vraies propositions d’évangélisation, développant des itinéraires systématiques d’éducation à la Foi, en privilégiant l’attention à la personne et son accompagnement personnel, proposant aux jeunes des défis courageux dans le discernement de leur projet de vie, également avec des propositions courageuses pour chaque type de vocations dans l’Église, même la vocation salésienne sous ses diverses formes et en impliquant toute la communauté.
Espérons que n’arrive pas ce que constatait le CG 23 – une des visions les plus brillantes de notre magistère capitulaire sur l’éducation des jeunes à la Foi – quand il dit que dans ce cheminement auquel je fais référence, peut arriver le moment de l’abandon, « non seulement à cause des difficultés que présente la Foi mais par manque d’attention de la part des éducateurs, plus préoccupés des choses que d’accompagner fraternellement le dialogue entre le jeune et Dieu. »(CG 23, n°137)
Dans notre réflexion capitulaire, nous avons constaté une plus grande participation active des laïcs, favorisée par la coresponsabilité et la mission partagée dans la communauté éducative et pastorale. Il y a déjà dix-huit ans, au CG 24 – pour ne pas remonter à un magistère plus ancien – on demandait au Recteur Majeur et à son Conseil de faire connaître des initiatives et des expériences de collaboration entre SDB et laïcs (CG 24,127) et l’on reconnaissait, dans la réflexion capitulaire que « le chemin d’implication mène à la communion dans l’esprit, et l’itinéraire de la coresponsabilité conduit à partager la mission salésienne. Communion et participation, implication et coresponsabilité sont les deux faces de la même médaille. » (CG 24,22)
Nous avons fait des progrès dans notre manière de voir la mission partagée. Le P. Pascual Chávez nous a démontré plusieurs fois, comme fruit de sa réflexion sur ce thème, qu’avec le regard et la vision théologique et ecclésiologique actuelle, on ne peut concevoir la mission salésienne sans les laïcs parce que leur apport également est vital pour notre charisme.
Pour ma part, j’ajoute ceci, chers Confrères : la Mission partagée entre SDB et laïcs n’est plus optionnelle – si par hasard certains le pensaient encore – et ce, parce que la mission salésienne dans le monde actuel nous le réclame avec insistance. Il est vrai que dans la Congrégation, nous allons à des « vitesses » différentes selon les Provinces, mais la mission partagée entre laïcs et SDB, la réflexion sur cette mission, le processus de conversion de la part de nos confrères SDB dans ce domaine sont inaliénables. J’ose donc demander que pour chaque Province, durant le premier triennium après le CG 27, la concrétisation du Projet et du programme de la mission partagée entre SDB et laïcs devienne réalité – si ce n’est déjà fait. Ou bien que l’on étudie la réalité provinciale ainsi que le projet et le programme concret à mettre en pratique durant les années qui nous mèneront au prochain Chapitre Général.
Je ne développe pas ces thèmes. Je note seulement qu’il ne s’agit pas d’un oubli mais, au contraire, de trois réalités qui ont déjà occupé une place appropriée dans la programmation du sexennat. Les deux derniers, projet Europe et Bicentenaire, ont déjà leur propre développement que nous devons continuer à prendre en charge. Quant à l’Action Missionnaire de la Congrégation (« Mission ad Gentes »), elle bénéficiera d’une particulière attention, toujours dans le cadre de la coordination entre tous les secteurs de la Mission qui embrasse la pastorale des jeunes, spécialement pour les plus pauvres, l’éducation des classes populaires, avec un soin attentif à la communication sociale, et l’annonce de l’Évangile aux peuples qui ne le connaissent pas encore – Mission ad Gentes – (cf. C 6).
Et je suis tout à fait certain que mes paroles en tant que Recteur Majeur sont celles de toute l’Assemblée Capitulaire du CG 27, de tous les Confrères de la Congrégation, de toute la Famille Salésienne et de tant de Jeunes du monde entier qui voudraient prendre la parole en ce moment.
Du fond du cœur, merci, très cher P. Pascual, IXème Successeur de Don Bosco, qui as été notre Recteur Majeur, ces douze dernières années, donnant vie, donnant ta vie, en étant père, en guidant notre Congrégation avec habileté et assurance, comme un bon capitaine qui sait trouver la route malgré le brouillard et la tombée de la nuit à chaque coucher du soleil. Merci d’avoir été Père pour toute la Famille Salésienne, Successeur de Don Bosco pour les jeunes de toutes les parties du monde. Merci pour ton magistère riche et solide, merci pour avoir conduit à bon port le bateau de toute la Congrégation pendant cette longue traversée des douze dernières années. Que le Seigneur te bénisse et que Don Bosco récompense tout ton dévouement en son nom !
Et un merci très vif et plein d’affection également à ton Vicaire et à tous les membres du Conseil Général qui, pendant six ou douze ans, ont pris soin avec zèle de chacune des parties (soit les Secteurs d’animation, soit les Régions du monde) que leur a confiée la Congrégation. Au nom de tous les Confrères, de la Famille Salésienne et des Jeunes un grand merci pour votre grande générosité et votre grand dévouement.
Je conclus en invoquant notre Mère, notre Auxiliatrice que, dans la prière que nous a préparée pour ce document capitulaire le P. Pascual, nous invoquons comme Notre-Dame de l’Écoute, Mère de la communauté nouvelle et Servante des pauvres. Que par son intercession, elle nous obtienne le don de l’Esprit pour avoir un cœur qui appartienne davantage à Dieu, avec les confrères, pour les jeunes et entre eux.
Que Don Bosco nous guide et nous accompagne pour traduire dans la vie ce que nous avons vécu, pensé et rêvé en ce CG 27. Qu’avec un cœur semblable au sien, il fasse de nous de vrais chercheurs de Dieu (Mystiques), des frères capables d’aimer ceux que Dieu met sur le chemin de notre vie (Prophètes de la Fraternité), et vrais serviteurs des jeunes avec le cœur du Bon Pasteur.
P. Ángel Fernández Artime
Recteur Majeur
Rome, 12 avril 2014